Anna Bolena à l'Opéra de Toulon

Xl_annab © Frédéric Stephan

Anna Bolena, créé au Teatro Carcano de Milan le 26 décembre 1830, occupe une place de choix dans la production de Gaetano Donizetti qui, jusqu'à cette date, n'avait pas su s'imposer réellement, malgré quelques belles réussites parmi les 34 (!) opéras déjà composés. La collaboration avec Giuditta Pasta, l'un des plus grands phénomènes vocaux de tous les temps, stimule indéniablement le génie créatif du compositeur bergamasque, et le poussera désormais à choisir les drames centrés sur la personnalité d'une primadonna. Tombé en désuétude à la fin du XIXème siècle, l'ouvrage commence une seconde carrière en 1957 avec les fameux débuts de Maria Callas dans le rôle-titre, dans une mise en scène de Luchino Visconti à la Scala de Milan. Le chant donizettien – oublié et trahi par des colorature légères hors propos – retrouve grâce à la diva greco-américaine sa dimension dramatique, et une nouvelle génération d'interprètes, s'inspirant de cet illustre modèle, démontrera par la suite la parfaite vitalité d'un théâtre qui avait tant marqué le romantisme.  

A l'Opéra de Toulon, nous retrouvons la production signée par Marie-Louise Bischofberger pour l'Opéra de Bordeaux en mai dernier. Nous renvoyons le lecteur aux commentaires qu'elle nous avait alors inspirés, en regrettant que la metteuse en scène suisse n'ait pas revu sa copie pour ce qui est de la direction d'acteurs, toujours aussi insuffisante.

Après s'être frotté au rôle au Théâtre des Champs-Elysées en 2009 (en version de concert), la magnifique soprano albanaise Ermonela Jaho – dont notre confrère Alain Duault a dressé dernièrement dans ces colonnes un beau portrait – domine le rôle-titre dont elle vainc, grâce à une solide technique et un style adéquat, toutes les embûches. L'expression dramatique est toujours juste : révoltée dans « Giudici ! Ad Anna ! », souveraine dans sa confrontation avec Seymour « Dio che mi vedi », humaine dans son pardon précédant le supplice « Al dolce guidami ». On goûte avec délectation la pureté de son legato, la variété et l'éloquence de son phrasé, ainsi que la maîtrise absolue dans les coloratures et les pianissimi. Son Anna Bolena fait plus que convaincre, elle bouleverse : rarement la douleur retenue de l'infortunée souveraine aura trouvé expression plus touchante.

En Jane Seymour, la mezzo américaine Kate Aldrich – dont nous attendons avec impatience la Carmen aux Chorégies d'Orange l'été prochain (au côté de Jonas Kaufmann) – campe une noble (et solide) rivale. Son timbre velouté, ses aigus pleins et lumineux, sa présence scénique affirmée en font une Seymour très proche de l'idéal. Le ténor espagnol Ismael Jordi, en Lord Percy, démontre dans la cavatine et cabalette du premier acte qu'il possède – avec une voix qui s'est considérablement élargie depuis la dernière fois que nous l'avons entendu sur scène – les qualités nécessaires pour interpréter ce répertoire, alliant facilité d'émission, vibration du phrasé et ligne de chant parfaitement maîtrisée. 

Basse que nous avons entendue moult fois au Liceu de Barcelone dont il est un des piliers, la basse baléarique Simon Orfila donne tout son relief au personnage du Roi Henry VIII, le phallocrate intransigeant de service aux décisions sans appel : voix de bronze et gestes impératifs. Quant à Svetlana Lifar, elle réussit - par ses talents de chanteuse comme de comédienne (en dépit de l'affreuse perruque dont elle est affublée...) - à rendre crédible le personnage assez falot de Smeton, le page amoureux d'Anna Bolena. Enfin, la basse monégasque Thomas Dear est loin de démériter dans celui de faire-valoir de Rochefort, tandis que Carl Ghazarossian campe un efficace Sir Hervey.

Dernière satisfaction de la soirée – et pas la moindre - la direction musicale de Giuliano Carella. De fait, le chef italien rend justice à tous les raffinements de l'orchestration de Donizetti et impose une lecture cohérente, puissament théâtrale, soucieuse d'effets dans les paroxysmes dramatiques, mais aussi de transparence et de délicatesse dans certaines introductions musicales. On portera également au crédit de Carella son attention aux exigences du chant, et de l'indéfectible soutien qu'il apporte – comme à sa bonne habitude – aux chanteurs. Quant aux choristes de l'Opéra de Toulon, ils se sont fort bien comportés et méritent les plus vifs éloges aussi bien pour leurs qualités musicales que pour leur tenue scénique.

Emmanuel Andrieu

Ana Bolena à l'Opéra de Toulon – Les 14, 16 & 18* novembre 2014

Crédit photographique © Frédéric Stéphan  

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