Die Walküre au Liceu de Barcelone

Xl_4547-179____a_bofill © Antoni Bofill

L'an passé, le Gran Teatre del Liceu de Barcelone a entamé un cycle qui est un des plus grands défis pour une scène lyrique : la Tétralogie de Wagner. Après l'Or du Rhin, on retrouve pour cette Walkyrie la mise en scène que Robert Carsen avait signé pour l'Opéra de Cologne, il y a une dizaine d'années, marquée du sceau de la désolation.

L'Or du Rhin s'était terminée sur la belle image des Dieux qui faisaient leur entrée au Walhalla sous une tempête de neige. Lorsque le rideau se lève sur La Walkyrie, il continue à neiger au dehors, tandis que nous sommes dans un hangar où s'empilent caisses à munitions, barils et autres jerricanes. Pendant le Prélude, des hommes armés jusqu'au dents amoncellent de nouvelles caisses d'armes sur celles déjà présentes. Siegmund et Sieglinde sont en tenue militaire : pantalon kaki et veste de camouflage. L'essentiel de l'acte se joue autour du brasero, tandis qu'il continue de neiger dehors, même au moment où le couple chante l'arrivée du printemps...
Le deuxième acte nous transporte dans le somptueux et gigantesque salon d'un château. Brünnhilde se prélasse dans un immense canapé, pieds nus et dans une robe printannière. Pour le second tableau, seule une épave de jeep meuble un plateau nu. Tout le III se joue sur le même champ de bataille enneigé du I, cette fois jonchée de cadavres, que les Walkyries réveillent par un baiser. Dès l'instant où Brünnhilde apprend qu'elle va être dépouillée de sa divinité, elle se recouvre d'une longue tunique recueillie sur un des soldats morts. Dans un dernier geste de tendresse, Wotan la recouvre de son propre manteau avant d'allumer, à hauteur de son visage, la flammèche d'un briquet. Il quitte enfin la scène en franchissant les flammes qui, entre-temps, se sont élevées au fond du plateau.

On doit reconnaître à la proposition scénique de l'homme de théâtre canadien une vraie cohérence, l'idée de la guerre étant omniprésente, avec son cortège de destructions et d'horreurs. Quant à la direction d'acteurs, elle nous a parfois paru un peu relâchée, et les moments forts ne sont pas légion. Ainsi, l'apparition du feu magique à la fin n'a aucune force dramatique, ni d' impact visuel, pas plus que la conquête de l'épée par Siegmund qui, par malheur, est tombée sur le sol avant même qu'il ne tente de l'arracher du tronc d'arbre où elle aurait dû se maintenir enfoncée...

La distribution vocale réunie au Liceu n'a rien à envier à celles qu'on peut entendre à Bayreuth, et c'est bien la fine fleur du chant wagnérien qu'on retrouve lors de cette soirée de Première. Klaus Florian Vogt et Anja Kampe forment ainsi un couple en totale osmose. Le ténor allemand donne un Siegmund très chaleureux, plus lyrique qu'héroïque, avec son timbre suave et clair reconnaissable entre tous, peut-être trop pour ce personnage ? Mais, dès le récit du I, son engagement, sa sincérité et sa prodigieuse musicalité emportent l'adhésion. De son coté, sa compatriote impose dans Siegliende un timbre qui manque certes de chaleur et de rondeur, mais qui est compensé par une émission généreuse, et un volume sonore qui parvient toujours à s'élever au dessus de l'orchestre.

Dans le rôle de Wotan, Albert Dohmen continue de gratifier l'auditoire de son timbre soyeux et de sa voix claire de chanteur de lied, qui dit le texte avec une intelligence et une intensité magnifiques. Il aborde le grand monologue du II en Sprechgesang, avec des accents d'abattement et de désespoir qui font passer le frisson.
Quant à Eric Halvarson, il possède un physique des plus appropriés dans le rôle de Hunding. La basse américaine – déjà présente le mois dernier sur cette même scène dans Kitège - campe un personnage tout d'une pièce et fort menaçant, avec une voix dont on goûte la noirceur du timbre et la belle ligne de chant.

Irene Theorin est également une Walkyrie sur laquelle on peut compter. Confrontée aux épreuves, cette Brünnhilde sait trouver profondeur et conviction dans l'incarnation, figure centrale autour de laquelle tout se joue. La précision de ses attaques et sa pugnacité dans l'aigu forcent l'admiration. Elle phrase enfin avec beaucoup de sensibilité l' « Annonce de la mort », puis le dernier face à face avec Wotan. Tout aussi convcaincante, la Fricka de la mezzo japonaise Mihoko Fujimura qui maîtrise souverainement la tessiture de son rôle, avec une projection impressionnante, et un timbre à la fois envoûtant, souple et sensuel. Elle confère ainsi à son affrontement avec Wotan au I, un aplomb dramatique surprenant. Enfin, les huit Walkyries constituent un ensemble satisfaisant.

Violemment pris à partie par quelques spectateurs au balcon (sans que cela ne soit mérité), le directeur musical du Liceu Josep Pons propose une lecture aux accents chambristes, et s'il est vrai que les thèmes ressortent avec netteté et élégance, sa conception ne favorise cependant pas toujours la tension dramatique ; c'est ainsi qu'au premier acte, il ne passe jamais le frisson de la passion. De ce point de vue, les choses s'améliorent au II, et davantage encore au III, avec de splendides crescendi dans le finale.

Emmanuel Andrieu

Die Walküre au Liceu de Barcelone, du 19 mai au 3 juin 2014

Crédit photographique © Antoni Bofill

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