Hamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra Grand Avignon

Xl_hamlet © Cédric Delestrade

Curieux « grand-opéra lyrique » que cet Hamlet d'Ambroise Thomas, partition dans laquelle le compositeur messin concilie échos de Meyerbeer et innovations intimistes de Gounod et Bizet. Après Marseille et Strasbourg, c'est à l'Opéra Grand Avignon qu'accoste la belle mise en scène signée par le talentueux homme de théâtre français Vincent Boussard. Premier atout de la production, le superbe décor unique imaginée par son scénographe Vincent Lemaire : une salle d'apparat aux parois nacrées qui crée une atmosphère à la fois fantomatique et inquiétante, impression renforcée par les éclairages cliniques de Guido Levi. Une même mention pour les superbes costumes raffinés (très XIXe) de Katia Duflot, et notamment pour la magnifique mousseline blanche portée par le personnage d'Ophélie. Quant à la mise en scène proprement dite, elle se distingue par son caractère respectueux et original à la fois, comme le fait de montrer le Spectre marchant à la verticale sur le mur de fond de scène ou Ophélie qui se noie dans une baignoire (plutôt que dans le lac du livret). On regrette cependant la suppression du ballet, qui rend certes plus fluide le déroulement de l'ouvrage, mais le prive en même temps de l'une des raisons d'être du grand-opéra.

Le baryton québecois Jean-François Lapointe, magnifique Hamlet, semble avoir encore mûri son personnage depuis ses dernières incarnations (nous l'avions entendu dans le rôle à Genève, mais il l'a également interprété à Copenhague ou Trieste) : il n'est pas seulement un chanteur de classe, mais également un « diseur » impeccable, doublé d'un acteur concerné. On ne peut que succomber à la qualité de ce phrasé, de ce style, de cet engagement, qui font merveille dans le grand trio avec Ophélie et Gertrude. Inoubliable à cet égard, l'intensité de la phrase « Allez dans un cloître, Ophélie ! ».

Après Donna Anna à l'Opéra de Monte-Carlo le mois passé, Patrizia Ciofi chante Ophélie, personnage qui convient idéalement à la couleur du timbre et à la personnalité artistique de la soprano toscane (elle avait déjà chanté le rôle dans cette même production, à l'Opéra de Marseille, en 2010). La vocalise coule avec un naturel et une sûreté d'émission incomparables, la tendresse du personnage ne virant jamais à la caricature larmoyante. Sa scène de la folie est tout simplement grandiose, la voix donnant l'impression de pouvoir tout se permettre sans jamais perdre souplesse ni éclat, jusque dans le bouleversant postlude où elle semble se noyer dans la broderie tissée par les choristes en coulisse.

Nicolas Testé impose éloquence et naturel au personnage de Claudius : son monologue du remords, au III, tout de retenue et de finesse, s'avère comme un grand moment de théâtre musical. Géraldine Chauvet campe une Gertrude également rongée par le remords, et crée un personnage qui se rapproche quelque peu de Clytemnestre. Signalons encore le Laërte racé de Sébastien Guèze et le Spectre sonore de Patrick Bolleire, tandis que Julien Dran (Marcellus), Bernard Imbert (Horatio), Jean-Marie Delpas (Polonius), Saeid Alkhouri (Premier fossoyeur) et Raphaël Brémard (Second fossoyeur) jouent tous les faire-valoir avec aplomb. Enfin, le chœur « maison » – excellement préparé par Aurore Marchand – mérite tous les éloges, tant pour la qualité des timbres que le fondu des différents registres, notamment dans la déploration finale.

Mais la réussite de la soirée repose aussi pour beaucoup sur la lecture orchestrale de Jean-Yves Ossonce – directeur général et musical de l'Opéra de Tours – qui imprime à la narration un rythme serré et aux progressions ménagées, mais qui sait également faire place au lyrisme dans les interventions d'Ophélie. Le chef français a compris à quel point les détails de l'orchestration de Thomas sont indispensables à la compréhension des atmosphères et des personnages, et son principal mérite – il est vrai aidé par un Orchestre Régional Avignon-Provence dans une forme olympique ce soir – a été de les avoir mis en valeur.

Une grande et belle soirée lyrique couronnée par des rappels aussi nombreux que mérités !

Emmanuel Andrieu

Hamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra Grand Avignon - Les 3 et 6 mai 2015

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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