La Damnation de Faust au Festival Berlioz

Xl_aaa_8025 © Delphine Warin

C'est en apothéose que s'est clôturée la 21ème édition du Festival Berlioz avec une exécution (en version de concert) de La Damnation de Faust appelée à rester dans les annales de la manifestation iséroise. Il faut dire que Bruno Messina – directeur du festival – avait pu engager les meilleurs interprètes du moment.

Depuis ses incarnations de Cassandre entendues ici ou là (Paris en 2003, Genève en 2007, Milan cette saison), l'on sait que la tessiture, le timbre et le tempérament d'Anna Catarina Antonacci sont idéaux pour les héroïnes de Berlioz qui, rappelons-le, nourrissait une tendresse particulière pour l'art de Cornélie Falcon. L'aisance et la sensualité de la soprano italienne, la façon dont elle restitue l'ampleur de la phrase berliozienne, le naturel de sa diction, tout fait de son personnage – ravagée par son « ardente flamme » - l'incarnation de la passion.

A peine sorti des représentations d'Aureliano in Palmira au Festival de Pesaro où il vient de triompher dans le rôle-titre, l'extraordinaire ténor américain Michael Spyres subjugue à nouveau ce soir, en dépit d'une fatigue perceptible au fur et à mesure de la soirée. On admire chez lui l'homogénéité de la tessiture, un timbre de toute beauté, la perfection de la diction, la suavité des accents et sa capacité à passer de la douceur à l'éclat, autant de qualités qui enchantent dans la magnifique Invocation à la Nature. Il est sans nul doute LE ténor berliozien de sa génération.

Quant à la formidable basse française Nicolas Courjal, il se hisse au même niveau que ses partenaires, en composant un magistral Mephisto. Outre le fait de coller admirablement à la vocalité grandiose requise par le rôle, l’artiste ravit également par sa voix somptueusement et puissament timbrée, son phrasé incisif et sa musicalité impeccable, à la ligne scrupuleusement contrôlée. Diable extraverti, insinuant, sardonique, inquiétant, menaçant, Nicolas Courjal possède beaucoup de charisme et d'incroyables dons de comédien. Il serait temps que les directeurs d'opéras lui proposent des rôles de premier plan, et lui permettent de faire la carrière qu'il mérite. Nous nous réjouissons en tout cas de le retrouver le 29 septembre prochain dans le rôle de Sarastro à l'Opéra de Vichy (où nous le rencontrerons, d'ailleurs, pour une interview...).

Enfin, Jean-Marc Salzmann retrouve, avec toujours le même entrain (trop ce soir, puisqu'il entonne trop tôt sa chanson du rat !), le rôle bref de Brander. 

Fidèle du Festival, François-Xavier Roth – à la tête du Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz - n'a pas déçu, dirigeant l'œuvre comme une vaste symphonie. D'entrée de jeu, le chef français fait preuve d'une grande retenue, mettant l'accent sur l'aspect mélancolique et introspectif de l'ouvrage, avec des rythmes parfois très lents, évitant tout pompiérisme dans la fameuse Marche hongroise. Il construit l'architecture de la partition avec minutie, atteignant quelques beaux paroxysmes comme dans le trio, pour retourner au tempo et à la retenue du début dans le chœur angélique qui clôture l'œuvre.

Il faut enfin saluer les deux chœurs réunis – le Chœur Britten et les Chœurs et Solistes de Lyon. Dans leur interprétation, tout trouve naturellement sa place : la cohésion des registres fait merveille dans la fugue de l'Amen ou l'apothéose finale, la précision de l'intonation transforme la scène des Sylphes en féerie aérienne, tandis que la beauté des timbres fait de chaque phrase une séduisante caresse pour l'oreille.

On ne saurait demander plus.

Emmanuel Andrieu

La Damnation de Faust au Festival Berlioz

Crédit photographique © Delphine Warin

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