Cette production de Nabucco – version d'un spectacle remanié et étrénné à l'Opéra de Francfort en 2001 - est due à Roland Aeschlimann, qui signe également décors et costumes (peu ou prou les mêmes qu'à Francfort). Epurée, stylisée et emplie de symboles, elle s'avère superbe sur le plan visuel (magnifiques lumières de Simon Trottet), comme c'est souvent le cas avec les spectacles de l'homme de théâtre suisse. Il supprime ici quasiment toute trace de l'arsenal assyro-babylonien, et le spectacle évolue essentiellement sur un escalier monumental montant jusqu'aux cintres, sur lequel se tiennent des guerriers babyloniens sortis de quelque guerre des étoiles (tendance samouraï), et de prisonniers juifs tout de noir vêtus. C'est par la direction d'acteurs que pèche le spectacle : des chœurs assez statiques, des protagonistes qui se contentent de gestes et d'expressions convenus, le tout dans des costumes aux couleurs criardes, peu agréables à l’œil. En parlant d'œil, évoquons cette interminable scène qui sépare l'acte II et III, où l'on voit, en projection vidéo, l’œil de Dieu, dont la pupille laisse bientôt place à des images de destructions massives et de carnages humains. L'effet est d’abord saisissant, mais sa durée finit par lasser, puis par irriter. Curieuse idée, enfin, de se faire suicider Fenena, dans le sillage de sa sœur, au lieu, comme le prévoit le livret, de la voir se jeter dans les bras d'Ismaele, son promis...
A quelques réserves près, la distribution genevoise s'avère à la hauteur d'une œuvre qui, vocalement, exige beaucoup de ses interprètes. Il faut dire que le Chœur du Grand-Théâtre de Genève, protagoniste essentiel, et même central, de Nabucco, est en glorieuse forme, toujours aussi admirablement préparé par Ching Lien-Wu : netteté des attaques et, plus encore, qualité de la pâte sonore, homogène, ronde et souple.
Bien que l'opéra s'appelle Nabucco, c'est Abigaille que le public attend...et la soprano hongroise Csilla Boross comble toutes les attentes, faisant fi des écueils de cette tessiture meurtrière ; d’une rare sauvagerie dans le haut medium, elle confère ardeur et vigueur aux écarts de son air d’entrée au I, au récitatif et à la cabalette du II, et au grand duo avec Nabucco. Cette voix de l’Est, qui rappelle parfois Ghena Dimitrova par ses inflexions, affronte l’aigu avec une telle énergie qu’il est cependant permis de s’interroger sur la longévité vocale de l’artiste…
Remplaçant Franco Vassallo initialement prévu, le baryton italien Lucio Gallo n’a pas vraiment l’incisivité et l’arrogance dans l’accent exigées par le rôle-titre – de même qu'il affiche une certaine carence dans la projection de certains mots -, mais ses talents d’acteur –- qui lui permettent de dessiner un Nabucco intériorisé, fragile et d’une grande humanité – compense largement les imperfections vocales.
Déjà Zaccaria in loco il y a près de vingt ans, la basse italienne Roberto Scandiuzzi n'offre plus qu'une voix fatiguée, particulièrement laborieuse dans les registres extrêmes de la tessiture. En revanche, dans le rôle d'Ismaele, le ténor américain Leonardo Capalbo séduit grandement, grâce à un superbe timbre de juvénilité et une expression toujours nuancée. Remarquée – et remarquable - également, la soprano franco-marocaine Ahlima Mhamdi, qui campe une Fenena attachante, en faisant de son air « Oh, dischiuso è il firmamento » un des plus beaux moments d'émotion de la soirée.
Au pupitre, à la tête d'un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, John Fiore donne une Ouverture rutilante, voire clinquante, mais, dès que le chant commence, on se rassure : le chef new-yorkais, s'il reste toujours un peu extérieur, se montre à la fois scrupuleux dans son accompagnement des solistes et soucieux du mouvement dramatique.
Nabucco au Grand Théâtre de Genève, jusqu'au 10 mars 2014
Crédit photographique © GTG/Ariane Arlotti
05 mars 2014 | Imprimer
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