On ne sait pas encore si la fabuleuse soprano américaine Lisette Oropesa pourra effectuer – du fait des mouvements sociaux – sa prise de rôle de Rosina dans Le Barbier de Séville prévu à l’affiche de l’Opéra de Paris à partir du 11 janvier. Mais elle a en tout cas bel et bien répondu présente à l’appel au Gstaad New Year Music Festival, après avoir bravé les grèves de transport, et en s’échappant deux jours des répétitions de la production déjà citée. Eblouissante Marguerite de Valois dans Les Huguenots à La Bastille la saison passée (lire la recension de notre confrère Alain Duault), elle nous avait subjugués peu après dans un autre ouvrage majeur de Giacomo Meyerbeer, Robert le Diable au Bozar de Bruxelles.
Dans la petite église de Rougemont, elle offre un récital à la fois original, diversifié et équilibré, dans lequel elle peut faire valoir toutes les facettes de son art : de fait, elle déploie la soirée durant des trésors de charme, d’intelligence et de sensibilité. Le belcanto est d’abord mis à l’honneur grâce au fameux « V’adoro pupille » extrait du Giulio Cesare de Haendel, puis à l’air « Come dolce all’alma mia » tiré de Tancredi de Rossini. Sa prodigieuse technique lui autorise une gamme presque infinie de couleurs, de dynamiques, de messe di voce époustouflantes et d’ineffables pianissimi. D’origine cubaine par ses parents, on savoure ensuite son impeccable espagnol dans « De Espana, vengo » (El nino judio de Luna Carné), un air de zarzuela qui distille tout un monde de couleurs et de saveurs dont la cantatrice prend possession avec une visible gourmandise.
Mais l'essentiel de la soirée sera dévolu aux Lieder allemands, avec les Drei Lieder der Ophelia de Richard Strauss et divers Lieder de Schubert dont le sublime « Marguerite au rouet » (Gretchen am Spinnrade). Le premier cycle offre à la voix de Lisette Oropesa leurs miraculeux dessins mélodiques et l’occasion de déployer les couleurs les plus variées. Dans les Schubert, chacun des airs retenus prend sa charge poétique dans un murmure irisé des nuances infinies d’une voix inspirée. La musique française - rappelons que Lisette est née à La Nouvelle-Orléans et qu’elle s’exprime dans un français parfait - est également de la partie avec une Romance de Debussy, puis l’air « Je vais par tous les chemins » tiré de Manon de Massenet. Dans le deuxième air, elle se paie le luxe de retenir sa voix, pour mieux libérer l’émotion, et l’unique bis sera également extrait de notre patrimoine national, l’air des bijoux dans Faust... qui lui vaut un triomphe ; de fait, quel art d’appliquer – comme au pinceau – les couleurs sur les voyelles sans renoncer à la virtuosité !
Enfin, la chanteuse trouve dans la pianiste russe Natalya Morozova (une fidèle de dix ans du NYGF...) une partenaire digne de son exigence, présente et virtuose, coloriste raffinée et versatile, qui sait se faire tour à tour puissante ou délicate, sombre ou malicieuse. Bravo à elle aussi !
Il n’y a plus qu’à croiser les doigt pour la Première du 11...
Lisette Oropesa en récital au Gstaad New Year Music Festival, le 2 janvier 2019
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
07 janvier 2020 | Imprimer
Commentaires