Parmi les titres les plus repris par les maisons d'opéra pour commémorer les 250 ans de la mort de Jean-Philippe Rameau, Castor et Pollux tient une place de choix. Dès le 26 septembre, l'Opéra de Dijon en monte une nouvelle production, dont nous rendrons bientôt compte dans ces colonnes. Avant cela, Opera-Online se penche en quelques mots sur l'un des ouvrages les plus passionnants du compositeur bourguignon.
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Aucune œuvre lyrique de Jean-Philippe Rameau n'a recueilli un succès semblable à celui de Castor et Pollux : deux cent cinquante-quatre représentations de 1737 à 1785 (seulement à Paris), chiffre énorme lorsque l'on sait l'instabilité notoire du répertoire du XVIIIème siècle. Aux yeux des contemporains français et étrangers, cette tragédie lyrique - créée le 24 octobre 1737 sur la scène de l'Académie royale de Musique - passait pour son chef d'œuvre.
Un livret modèle
Plus homogène dramatiquement, moins extravertie que la première tentative lyrique de Rameau en 1733 avec Hippolyte et Aricie, la tragédie de Castor tient davantage ses promesses au théâtre, grâce notamment à un livret fort bien réalisé. Les situations sont variées tout comme le sont les situations psychologiques. L'ensemble de l'opéra frappe par son caractère réservé, tout en demi-teintes, ainsi que par la subtilité de son déroulement dramatique. Le livret écrit par Pierre-Joseph Bernard fut à juste titre renommé au XVIIIème siècle : on reconnaissait à son auteur le talent d'avoir conçu un spectacle aussi bien motivé que fortement contrasté. Le thème central de l'intrigue est fort simple : l'abnégation de Pollux qui renonce à son existence terrestre pour que son frère Castor soit ramené à la vie. Tout concourt alors évidemment à une certaine sublimation des sentiments, composante assez importante en musique à l'époque.
Le Livret peut se résumer de la façon suivante. Au Prologue, les Dieux exhortent Vénus à réfréner les ardeurs guerrières de Mars et à restaurer la paix. L'acte I débute alors que le chœur pleure Castor, tué par Lyncée, tandis que Télaïre son amante se lamente. Survient Pollux qui dépose aux pieds de Télaïre la dépouille de Lyncée vengeant ainsi son frère. Il en profite pour avouer son amour à Télaïre : celle-ci lui demande alors d'obtenir la résurrection de Castor. L'acte II pose le dilemme amour/amitié de Pollux, lequel finalement se résoud à invoquer Jupiter. Celui-ci fait savoir que si Castor revient sur terre, il faudra que Pollux le remplace au royaume des Ombres. L'acte III nous transporte à l'entrée des Enfers. A la fois dissuadé par Phoebé et encouragé par Télaïre, Pollux, avec l'aide de Mercure, brave les démons et accède au monde souverain. Phébé se désole et veut le suivre. Ce sont les Champs Elysées que l'on nous représente à l'acte IV. Castor y chante sa tristesse malgré la félicité qui l'entoure : Télaïre lui manque. Pollux apparaît et lui explique ses intentions. Castor a des scrupules, mais il finit par accepter de renaître à la vie un jour seulement. Acte V, Castor fait ses adieux à la vie à sa Télaïre retrouvée : celle-ci tente de le retenir, mais Castor ne veut pas renier la promesse faite à son frère. Finalement, Jupiter relève Castor de son serment et annonce le retour de Pollux. On annonce la fête de l'Univers et Jupiter place les jumeaux parmi les Dieux.
Lors d'une reprise de l'ouvrage en 1754, le livret eut à subir de profondes modifications. Le Prologue fut bien évidemment supprimé - puisque ce genre de préambule était passé de mode -, et pour ne plus faire débuter la tragédie fort abruptement par les funérailles de Castor, on décida d'un nouveau premier acte racontant le combat de Castor contre Lyncée (les spectateurs supportaient mal de devoir attendre, dans la version orginale, l'acte IV pour entendre la voix de haute-contre de Tribou). Les actes II et III de la nouvelle mouture reprennent à peu de choses près les actes I et II originaux, et les actes III et IV de la version de 1737 sont regroupés en un quatrième acte (contenant aussi des passages musicaux du Prologue disparu). Le dernier et cinquième acte quant à lui reste identique dans les deux versions. Il va sans dire que cette seconde version nécessitait des aménagements musicaux : les récitatifs sont abrégés, les airs importants (« Tristes apprêts » de Télaïre, « Séjour de l'éternelle paix » de Castor...) restent inchangés, mais de nouvelles ariettes sont ajoutées. C'est cette seconde mouture, avec peu de modifications, qui sera utilisée jusqu'aux ultimes représentations parisiennes de 1785.
Moments magiques
Bien que les qualités intrinsèques de l'ouverture (de style lullyste mais d'écriture personnelle) et du prologue originel soient de grande importance (trio de Vénus/Amour/Mars ; airs dansants...), on considère que l'intérêt principal de Castor et Pollux réside dans le corps même de la tragédie. Les deux numéros les plus mémorables du premier acte acte de 1737 restent le chœur d'entrée, funèbre thrène digne des plus hautes inspirations de Bach et de Haendel « Que tout gémisse », ainsi que le sublime air de Télaïre « Tristes apprêts » (dont Berlioz admirait particulièrement l'instrumentation, avec ses bassons qui imprègnent si magistralement le contenu expressif du morceau). Signalons également les audacieuses harmonies toutes ramistes de la « Marche grave et fière ».
L'acte II débute par un air confié à Pollux, mi-cantabile mi-récitatif : « Nature, Amour, qui partagez mon coeur » est d'une très délicate inspiration. La fin de cet acte avec sa suite de chœurs et d'airs est un moment de parfaite intelligence musicale et dramatique, union de deux éléments qui concourent à faire de Rameau le très grand dramaturge qu'il fut. L'acte III est spectaculaire à souhait, mais un peu plus chiche musicalement. Comme souvent dans l'opéra français du temps, les actes infernaux offraient matière à spectacles et à machineries. Mais la symbiose si souvent réussie chez Rameau entre l'intérêt dramatique et l'intérêt musical est ici quelque peu malmenée : il faut pour apprécier cet acte l'envisager en tant que moment théâtral plutôt qu'en écoute musicale stricte. Seuls le chœur des démons « Brisons nos fers » et le trio Pollux/Télaïre/Phébé touchent à l'inspiration suprême des actes précédents. L'air de Castor qui se présente au début du quatrième acte de l'opéra, « Séjour de l'éternelle paix », est parmi les plus réussis de la partition, sorte de récit mesuré et accompagné qui possède une dimension expressive inégalable. Le divertissement qui clôt l'acte, malgré l'extrême qualité de ses danses, ne peut faire oublier ce moment magique. L'acte V offre au personnage, effacé mais vindicatif de Phébé, un air à l'italienne bien adapté à la situation. Mais c'est la grandiose fête de l'Univers qui attirera aujourd'hui l'attention de l'auditeur. Véritable apothéose (du spectacle, mais aussi des héros) où chœurs, airs, danses (l'orchestre y est à la fête) se mêlent : il s'agit d'un finale spectaculaire, se concluant dans une prodigieuse chaconne admirablement construite et orchestrée.
Après les dernières représentations de 1785, la tragédie de Castor et Pollux dut attendre un long siècle sa résurrection (grâce à quelques musiciens passionnés, dont Saint-Saëns, qui recommencèrent dès la fin du XIXème siècle à s'intéresser à l'œuvre lyrique de Rameau), et ce n'est qu'en 1908 que l'ouvrage de Rameau connaît, à l'Opéra de Montpellier, une résurrection scénique, avant que l'Opéra de Paris ne le réintègre à son répertoire, en mars 1918. Il faut cependant attendre la fin du XXème siècle pour entendre de manière plus régulière Castor et Pollux – grâce à des chefs comme William Christie ou Marc Minkowski – et l'on ne peut que se réjouir qu'après Montpellier cet été (dans le cadre du Festival de Radio-France), l'Opéra de Dijon (du 26 septembre au 4 octobre), le Théâtre des Champs-Elysées (du 13 au 21 octobre), et l'Opéra de Lille (du 17 au 25 octobre) remettent le chef d'œuvre de Rameau sous les feux de la rampe.
Castor et Pollux à l'Opéra de Dijon - Du 26 septembre au 4 octobre 2014
24 septembre 2014 | Imprimer
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