Elle vient de triompher à l’Opéra de Paris dans La Traviata, elle va enflammer l’Opéra de Vienne dans le même rôle en décembre puis, toujours en Violetta, l’Opéra de Madrid en avril et l’Opéra de Munich en mai : Ermonela Jaho est la Traviata dont on parle en cette rentrée. Mais qui est-elle ?
C’est une belle soprano albanaise (comme Inva Mula) qui a commencé le chant dès l’âge de six ans avant d’être admise au Conservatoire de Tirana, la capitale de l’Albanie, puis à l’Académie des arts de Tirana. Mais c’est en remportant une compétition organisée par Katia Ricciarelli qu’elle se révèle : à la suite de ce succès, elle part en Italie, étudie à l’Académie de Mantoue puis, surtout à la fameuse Académie Sainte-Cécile de Rome. Installée en Italie, elle débute sur scène à Bologne dans le rôle de Mimi de La Bohème : d’emblée le public est au rendez-vous. On chuchote son nom parmi les amateurs, on la suit un peu partout en Italie : la voici bientôt Susanna des Noces de Figaro puis Micaela de Carmen, à Trieste cette fois. Mais l’Italie est déjà trop petite pour Ermonela : elle est engagée en Irlande au Festival de Wexford, en Allemagne, à Munich, à Genève et bientôt aux Etats-Unis (avec cette Mimi de La Bohème qui lui a donné sa première chance). Sa carrière prend alors une dimension internationale et on peut la suivre un peu partout dans tous les plus grands rôles de soprano lyrique, du rôle-titre de Madame Butterfly de Puccini à celui de Thaïs de Massenet en passant par Juliette du Roméo et Juliette de Gounod, beaucoup d’autres…
Mais c’est quand elle aborde le rôle de Violetta de La Traviata qu’elle révèle au plus haut toute l’étendue de son talent. Bien sûr, elle possède la voix idéale pour le rôle de la courtisane broyée, une voix à l’étoffe soyeuse, moirée, avec des aigus puissants et lumineux, avec une sûreté technique impressionnante, des trilles superbes, tout ce qui constitue la trame belcantiste de ce rôle unique entre tous. Mais ce qui la distingue des autres bonnes Violetta et lui confère cette singularité des plus grandes interprètes, c’est cette incarnation brûlante, ardente, ce sens de la flexion intérieure de la phrase, ces couleurs subtiles, ces notes filées qui semblent comme suspendues, cette mezza voce expressive qui peint le portrait de cette déchirure au cœur du rôle. Il faut l’entendre dans le terrible affrontement avec Germont père, au deuxième acte : on a la gorge serrée quand, dans un fil di voce presque immobile, elle laisse couler de ses lèvres cette phrase du sacrifice, Dite alla giovine, comme une manière de suicide en scène. Et son dernier acte, cette mort qui fait mal au ventre tant elle est vécue en même temps qu’elle est chantée : le soir de sa première à l’Opéra Bastille, à l’issue de cette scène déchirante, la salle toute entière s’est levée pour une ovation très exceptionnelle dans ce lieu dont la froideur ne contribue guère à laisser passer l’émotion !... Elle se tenait au rideau, comme vidée par tout ce qu’elle venait de donner : derrière la grande chanteuse, c’est l’immense comédienne qui est apparue. Le nouveau directeur de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, qui la connait depuis un certain temps, était pourtant impressionné… et se félicitait de l’avoir déjà engagée en début de sa prochaine saison (sa première « vraie » saison) pour y chanter le rôle-titre de Madame Butterfly !...
Nul doute qu’on va beaucoup entendre Ermonela Jaho durant les prochaines années. Tous ceux qui n’ont pas eu la chance de l’applaudir dans ce rôle de la Traviata qu’elle habite comme personne ont encore la possibilité d’essayer de trouver des places pour l’Opéra Bastille : elle y est jusqu’au 12 octobre. Sinon, il faudra faire – mais c’est bien agréable – le voyage à Vienne où elle chantera cette même Traviata début décembre.
01 octobre 2014 | Imprimer
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