Roméo et Juliette à l'Opéra de Monte-Carlo

Xl_rom_o © Cyrille Sabatier

Foule des grands soirs au Grimaldi Forum de Monaco, cette représentation du Roméo et Juliette de Gounod étant donnée exclusivement « Sur invitation du Palais », dans le cadre de sa Fête Nationale. Sitôt après l'apparition du Prince Albert II et de la Princesse Caroline dans leur loge, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, placé sous la direction du chef Laurent Campellone, entonne l'hymne national de Monaco (dans la langue vernaculaire), auquel s'adjoignent les voix de la famille princière et celles d'une (grande) partie de l'audience. 

Si l'hymne n'est pas d'une grande finesse orchestrale, on n'en est pas moins de suite saisi par la brillance et la clarté de la phalange maison, et c'est bien de la fosse que viendra le principal bonheur de la soirée. Jean-Louis Grinda - directeur de la vénérable institution monégasque - ne s'y est pas trompé en confiant la baguette à Laurent Campellone pour lequel, on le sait, la musique française du XIXème siècle semble congénitale, à l'instar de Michel Plasson dont il est le digne successeur dans ce répertoire ; Campellone nous a en effet maintes fois montré son savoir-faire à la tête de l'Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, phalange qu'il a portée à un rare niveau d'excellence. Mais c'est celle de Monte-Carlo qu'il magnifie ce soir, en obtenant d’elle une justesse d’accents, une vibration et une élégance tout à fait exemplaires. Au rythme d’une lecture parfaitement cohérente, lyrisme et narration se fondent et font oublier les faiblesses d’un opéra - aux grâces sublimes certes -, mais non exempt de longueurs et de remplissages, même si le ballet a été ici expurgé. De ce long hymne d’amour, l’un des plus vibrants de notre musique, on sait que quatre duos constituent le cœur, duos où le musicien s’est surpassé dans une écriture mélodique aussi délicate que profuse. Il y faut un couple d’exception, jeune, plausible et d’une résistance à toute épreuve, tant ces deux rôles exigent de santé vocale. Celui de Roméo en particulier, qui d’acte en acte (et l’opéra en compte cinq), est de plus en plus sollicité dans sa tessiture et doit élargir son émission de pur lyrique vers celle d’un demi-caractère au grave timbré et à l’aigu souverain.

Si le format vocal du jeune ténor sicilien Paolo Fanale peut parfois paraître sous-dimensionné – surtout ici dans l'immense vaisseau qu'est la Salle des Princes du Grimaldi Forum -, nous ne tarirons pas d'éloges à son sujet. La nature lui a donné le physique, le timbre, la qualité de voix du lyrique demi-caractère - idéaux pour le rôle de Roméo. L'intuition du chant et une recherche de l'émission optimale lui permettent de couler tout cet or dans le phrasé le plus juste, l'articulation la plus irréprochable, la dynamique la plus pondérée. Le smorzando qu'il tente – et réussit - à la fin de son air du deuxième acte, le fameux « Ah, lève toi soleil », confirme qu'il est un Roméo sur lequel on peut désormais compter. On languit ainsi de le retrouver le mois prochain à l'Opéra de Marseille, dans le rôle de Nemorino dans L'Elisir d'amore de Donizetti, titre retenu par Maurice Xiberras pour les fêtes de fin d'années plutôt qu'un sempiternelle production offenbachienne.

Autre grand bonheur, celui de retrouver Anne-Catherine Gillet, moins d'un mois après son éblouissante Manon à Lausanne. On admire une fois de plus la voix ample et l'aigu facile de la soprano belge, qui déploie ce soir des étincelles dans la célèbre Valse « Ah, je veux vivre », et trouve des couleurs envoûtantes, lorsque l'héroïne apprend l'identité de son admirateur inconnu. Son interprétation s'intensifie au cours de la représentation, les intentions se font progressivement plus vraies, le timbre devient plus charnu, jusqu'à un « Air du poison » particulièrement poignant. D'une égale homogénéité vocale que son partenaire, cette ardente Juliette partage ainsi avec Fanale une franchise vocale, une jeunesse, un élan, une poésie et une absence de mièvrerie qui préservent ces pages de toute sentimentalité convenue.

Voix de caractère, large et chaleureuse, Mercutio trouve en Lionel Lhote un interprète de qualité (superbe « Ballade de la Reine Mab »). La mezzo suisse Carine Séchaye possède des moyens convaincants en Stephano, qui lui permettent de déliver une magnifique romance « Que fais-tu blanche tourterelle ? », mais également les qualités de souplesse et de spontanéité nécessaires à son personnage. De son côté, Jean Teitgen offre un Frère Laurent digne et humain, avec une basse dotée d'une impressionnante autorité dans la projection. Si la voix du baryton belge Marcel Vanaud (Comte Capulet) souffre de l'usure du temps, Christine Solhosse et Christophe Berry, quant à eux, caractérisent au mieux Gertrude et Tybalt. Une mention enfin pour le Chœur de l'Opéra de Monte-Carlo – superbement préparé par Stefano Visconti - qui participe pleinement à la réussite de la soirée.

Quant à la proposition scénique - une nouvelle co-production avec le Teatro Carlo Felice de Gênes - Jean-Louis Grinda se l'est auto-confié, et l'on ne s'en plaindra pas ! Vérone est là, présente et authentique, vivante, sensible au sein de magnifiques monuments. Le pouvoir d'évocation est réel, propice à l'évasion. Le décor (signé par Eric Chevalier) est constitué par de belles et grandes toiles peintes en fond de scène, et par de grands panneaux latéraux de brique ocre, mais très aériens, qui délimitent les différents lieux de l'action : tous les éléments obligés, hors le balcon, demeurent présents – la maison, le jardin, la chambre, le tombeau... - mais sans ostracisme aucun. Ils concourent plutôt à la cohérence du spectacle et s'y fondent. Grinda règle une mise en scène classique, s'appuyant sur l'atmosphère réalisée pour le décor, s'y inscrivant au mieux, privilégiant les rencontres de Roméo et Juliette dans toute leur simplicité, leur force merveilleuse. Ils semblent survoler ces évènements qui pourtant les régissent, s'en exaltant, s'accomplissant grâce ou malgré eux. Tout sollicite ainsi l'imagination, au terme d'un mélange subtil de réel et d'irréel. Seuls les costumes, pourtant stylistiquement en adéquation, semblent trop vifs dans les choix (rouge-Capulet / bleu-Montaigu), hormis l'habit de Roméo d'un vert émeraude.

Une exemplaire réussite dont les illustres hôtes de cette magnifique soirée peuvent légitimement être fiers !

Emmanuel Andrieu

Roméo et Juliette de Gounod à l'Opéra de Monte-Carlo, jusqu'au 22 novembre 2014

Crédit photographique © Cyrille Sabatier  

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