S’il aime par-dessus tout le lied, le baryton allemand Matthias Goerne refuse l’étiquette écrasante d’héritier de Fischer Dieskau. Autant que par humilité que par souci de liberté. Il vient à la Salle Pleyel pour trois des plus célèbres cycles de lieds de Schubert.
« Je ne veux pas être un chanteur qui se résume à une liste de rôles. » Dans le circuit international qu’il a conquis en quelques années, le baryton allemand Matthias Goerne se singularise par son perfectionnisme. Il ne chante qu’en allemand parce que « l’on ne peut se donner vraiment que dans sa langue ». Son intransigeance dans le choix de son répertoire, il refuse le kitsch sous toutes ses formes. On le verra davantage dans le lied que sur une scène d’opéra. Quand il s’y présente, c’est avec une prise de risque maximale comme en janvier 2011 à l’Opéra de Paris pour la création du Mathis le peintre de Paul Hindemith. Cet artiste au physique d’ogre ne sait être lui-même que dans le respect absolu du texte musical.
Né à Weimar dans l’Allemagne communiste, immergé dans le monde artistique – son père est directeur de théâtre, sa mère dramaturge – il est tombé dans le chant dés sa prime jeunesse. À 9 ans, il décide de devenir chanteur, mais c’est avec Fischer-Dieskau qu’il a forgé sa voix chaleureuse, au timbre coloré et profond, impressionnante de résonance et de contrôle. Le ‘baryton du XXème siècle’ lui a appris la concentration, à pénétrer et à exprimer l’atmosphère du lied dès la première note. Goerne refuse pourtant l’étiquette d’héritier. « Je veux croire que si l’on me compare à lui, c’est parce que j’ai hérité de lui son art de faire vivre la musique par le texte et vice versa. » Elisabeth Schwarkopf a réussi de son coté à homogénéiser son timbre, à unifier ses registres, à trouver une nouvelle balance entre le clair et le sombre.
Pas étonnant qu’avec de tels maîtres, ce chanteur plus viscéral que cérébral, plus instinctif qu’exégète soit réclamé par les plus grands chefs, Chailly, Abbado, Boulez et accompagné par les plus grands pianistes, Brendel ou Ashkenazy. Dans ses trois cycles de Schubert qu’il donne à la Salle Pleyel, il est accompagné de son complice Christoph Eschenbach à la fois chef et pianiste !
Autant que par ses partenaires, ce perfectionniste tranche aussi par ses choix parcimonieux de productions lyriques ; ses rôles sont toujours des êtres entiers qui lui ressemblent. Un récital magnifique ‘Arias’ (Universal) en concentre l’essentiel ; Papageno dans ‘La Flûte’, Wolfram dans 'Tannhäuser', Wozzeck, Arlequin d’’Ariane à Naxos’ ou Frizt dans ‘La Ville morte’ de Korngold.
Mais, c’est dans le lied que cet habitué des oratorios donne la pleine mesure de son talent : d’Hanns Eisler (Hollywood Liederbuch) compositeur maudit et méconnu qu’il défend bec et ongles, en passant par Schumann (Diechtzelieder), tous chez Universal-Decca. Avec Schubert, la relation est aussi passionné que passionnante. Les ayant enregistré souvent plusieurs fois au cours de sa carrière, il n’ignore rien de chaque nuance des grands cycles qu’il nous livrent sur scène cette saison avec le chef d’orchestre pianiste Christoph Eschenbach : du Wintereise (Voyage d’hiver), Die schöne muller (La belle meunière) au Schwanengesang (Le Chant du cygne).
Dés la première croche, le colosse taille les émotions comme un forgeron l’acier, dans un corps-à-corps brûlant et plein d’étincelles. D’une violence parfois incroyable, avec des fortissimos qui lancent comme une douleur et des graves qui sondent les reins comme des forages profonds. A l’écouter sur scène ou au disque, vous vous ferez aussi envoûter par cette quête sans fard et sans filet d’une certaine vérité de l’être humain.
Alain Duault
Salle Pleyel le 8 novembre, Wintereise ; le 28 février, Die schöne muller ; le 11 mai 2012, Schwanengesang.
24 octobre 2011 | Imprimer
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