C'est l'un des enjeux majeurs actuels de la plupart des maisons d'opéra : ouvrir l'art lyrique à de nouveaux publics. L’Opéra orchestre national de Montpellier Occitanie participe de ce mouvement, puisque après son Fantasio aux sous-titres adaptés pour les spectateurs sourds et malentendants (lire notre chronique), la maison montpellieraine va encore plus loin pour sa prochaine production, Don Pasquale, qui proposera une adaptation en LSF (Langue des Signes Françaises) grâce notamment à l'association Accès Culture qui est présente partout en France et qui effectue un travail important d'accessibiité pour les personnes sourdes et malentendantes.
Rares sont ceux à être familiers du monde de la surdité, souvent peu connaisseurs de cette communauté qui a sa propre Histoire, sa culture ou encore donc son propre langage, la langue des signes. Contrairement à ce que certains pourraient penser, la langue des signes n’est pas universelle, au même titre que les langues orales qui se répartissent selon les pays, voire parfois selon les régions. Ainsi en est-il de la langue des signes qui connaît des variations, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi entre les régions. Toutefois, il est rare que ces différences soient source de réelles incompréhensions entre les sourds. Plus simplement, on pourrait les comparer aux accents des entendants, plus ou moins marqués. Nul besoin donc de maîtriser spécifiquement la LSF de Montpellier et de ses environs pour comprendre le futur spectacle.
Cette ouverture implique une double perspective : non seulement l’opéra s'adresse ainsi à un nouveau public potentiel, mais permet également aux sourds d’accéder à un art dont ils pourraient s’imaginer exclus, malheureusement souvent à raison. Il faut dire que la surdité à longtemps été associée à la stupidité : la communication, et par extension la pensée, étant traditionnellement associées à la parole, au langage, à l’usage de la langue. Toutefois, Pierre Desloges, auteur et relieur sourd depuis ses sept ans, atteste au XVIIIe siècle qu’une langue des signes structurée était déjà couramment utilisée en France. Quant à l'abbé de l'Épée (de son vrai nom Charles-Michel de L'Épée), il reste l'ambassadeur le plus connu de l’histoire sourde pour avoir reconnu l’importance des signes et s’en être servis après avoir vu deux jumelles sourdes communiquer entre elles à l'aide de gestes. Il fallut néanmoins attendre bien longtemps pour que la surdité ne soit plus un motif d’enfermement psychiatrique, que la langue des signes ne soit plus interdite et qu’elle devienne finalement une langue reconnue officiellement en 2005.
Outre la LSF, que l’on pourrait simplement apparenter à un dialogue « parlé », les sourds, qui sont extrêmement sensibles aux vibrations et qui pour certains aiment la musique, ont inventé le chansigne. Une forme d’expression artistique qui, comme son nom l’indique, traduit – ou plutôt interprète – le chant et la musique en langue des signes, en suivant le rythme ou les émotions, à l'aide d'images ou même parfois d'une forme de danse.
À Montpellier, la mise en scène de Valentin Schwarz (gagnant du Ring Award 2017) sera donc adaptée à un public sourd et malentendant, non seulement dans la traduction du texte en LSF par Katia Abbou et Vincent Bexiga, mais aussi par l’inclusion sur scène de ces comédiens et chansigneurs LSF, afin de proposer un opéra complètement bilingue, qui n’oubliera pas pour autant le public entendant. Si Carmen, opéra sauvage fut une première rencontre entre une œuvre lyrique et la LSF en France en 2012, que la langue des signes et le chansigne ont déjà été vu sur une scène lyrique (généralement sur l’avant de la scène et dans un oratorio comme Le Messie), ou encore si l’Opéra de Saint-Etienne s’est ouvert aux sourds en 2016-2017 avec des visites et des spectacles, ce Don Pasquale montpelliérain est à notre connaissance le premier opéra qui intègre ainsi pleinement le chansigne.
Une belle initiative que l’on applaudit à deux mains, que cela soit en les frappant en rythme ou en les agitant (la manière d’applaudir des personnes sourdes). A fortiori quand le 18ème Congrès Mondial des sourds (le WFD Congress), qui a lieu tous les quatre ans, se tiendra en juillet prochain à Paris et aura pour thème "Le droit à la langue des signes pour tous" (plus d'informations sur le site officiel).
Don Pasquale sera donné, notamment en chansigne donc, du 20 au 26 février prochains à l'Opéra Orchestre National de Montpellier.
26 janvier 2019 | Imprimer
Commentaires