Même s'il a quitté officiellement ses fonctions de Directeur musical de l'Opéra de Toulon en juin dernier, après dix années passées à hausser cet orchestre à un vrai niveau d'excellence, Giuliano Carella n'en a pas moins répondu présent pour le spectacle d'ouverture de la saison 16/17 avec une superbe exécution musicale du duo Cavalleria/Pagliacci. Comme pour boucler la boucle, le chef italien reviendra dans la cité méditerranéenne pour diriger le dernier opéra de la saison : Roméo et Juliette de Gounod. Nous avons rencontré le Maestro...
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Opera-Online : Comment est né en vous le désir de devenir chef d'orchestre ?
Giuliano Carella : J'estime que j'ai beaucoup de chance parce que j'ai la possibilité d'exercer le métier que j'ai toujours voulu faire. En effet, devenir chef d'orchestre a toujours été, depuis ma plus tendre enfance, mon plus grand rêve, et avoir pu réaliser ce rêve est pour moi la source d'un immense bonheur. Il est probable que j'ai été influencé dans ce choix par mon grand-père, le père de ma mère, qui était lui-même chef d'orchestre. Dans tous les cas, ce qui est certain, c'est que tout mon investissement personnel dans ma formation et mes études a toujours visé à atteindre cet idéal : devenir chef d'orchestre.
Quelle est votre définition du rôle de chef d'orchestre ?
Au-delà de ce que sont les tâches fondamentales de l'activité du chef d'orchestre - assurer le plus haut niveau technique et interprétatif d'une exécution musicale, tout en respectant pleinement la volonté exprimée par le compositeur ̶ , il me plaît à penser que le chef d'orchestre, musicien sans instrument, joue finalement l'âme des musiciens avec lesquels il a le privilège de faire de la musique, afin de fédérer, de faire émerger une façon de ressentir l'œuvre commune dans laquelle les musiciens - et par la suite les auditeurs - peuvent se reconnaître. Le chef d'orchestre, selon moi, fonctionne somme toute comme une grande lentille prismatique de manière inversée : ne pas décomposer le spectre chromatique en d'infinies couleurs mais au contraire, les réunir en mille nuances différentes dans un unique élan commun.
Vous venez tout juste de quitter cette fonction, mais vous avez été Directeur musical de l'Opéra de Toulon durant ces dix dernières années. Par quel chemin êtes-vous arrivé dans la cité méditerranéenne ?
L'Opéra de Toulon a occupé, professionnellement et affectivement, un rôle très important dans ma vie. À Toulon, j'ai eu l'occasion de diriger pour la première fois, au début de ma carrière, les titres majeurs du répertoire lyrique italien. J'ai toujours été reconnaissant envers le théâtre qui m'a accordé une si grande confiance. C'est aussi pour cette raison que lorsque Claude-Henri Bonnet, devenu Directeur Général de l'Opéra de Toulon, m'a proposé de le rejoindre à ses côtés en tant que Directeur musical de la Maison, j'ai accepté avec beaucoup d'enthousiasme son invitation. Je suis fier et même orgueilleux du chemin que nous avons parcouru ensemble, ainsi qu'avec les musiciens de l'Opéra de Toulon au cours de ces dix années, et je suis heureux d'avoir participé à l'évolution de ce théâtre. En juin dernier, au terme de mon troisième mandat comme Directeur Musical de l'Opéra de Toulon, j'ai décidé de ne pas renouveler mon engagement « fixe ». Ceci est dû, avant tout, à des raisons pratiques, puisque les engagements vont croissant et m'appellent toujours plus loin de Toulon ; et puis, c'est parce que, sincèrement, je pense qu'il faut un temps pour tout, et que le changement est une composante fondamentale du développement de chacun d'entre nous.
L'Opéra italien - en particulier Verdi et Puccini - occupe une place essentielle dans votre emploi du temps...
J'ai toujours essayé de rester fidèle à la grande tradition italienne de direction orchestrale qui, ayant horreur des restrictions, s'est toujours dédiée à un répertoire historiquement très vaste. Ceci est dû à la curiosité qui m'est propre mais aussi à mon désir d'enrichir dans la pratique théâtrale la plus grande perspective possible. J'ai dirigé Paisiello et Cimarosa, Rossini et Donizetti, Mercadante et Pacini, Bellini puis Zandonai, Mascagni, Montemezzi, Alfano... Certes, Verdi et Puccini occupent une place très importante dans mon activité, j'en suis très heureux ainsi, mais mon activité de chef d'orchestre ne se résume heureusement pas à ces deux compositeurs !
Toulon mis à part, vous dirigez beaucoup en Allemagne, mais très peu dans votre Pays d'origine...
Je suis déjà en train de prendre mes engagements pour 2020. La programmation en Italie est très souvent, pour différentes raisons, très en retard par rapport aux autres nations. C'est la principale raison pour laquelle je suis peu présent dans mon pays : quand l'on m'appelle, je suis le plus souvent déjà pris.
Êtes-vous sensible à l'aspect visuel de l'Opéra ? Quels rapports entretenez-vous, en général, avec les Metteurs en scène ?
L'aspect visuel d'une représentation d'un opéra est l'essence fondamentale de l'exécution théâtrale, et la dramaturgie est une clé indispensable pour comprendre une œuvre lyrique. Les rapports entre le metteur en scène et le chef d'orchestre sont une composante irremplaçable du processus créatif qui mène à la réussite d'un spectacle. Pour moi, on ne peut absolument pas renoncer à cet étroit lien de collaboration et de compréhension réciproque avec le metteur en scène du titre que je dirige.
Quelles sont les exigences des deux partitions que sont Cavalleria Rusticana et I Pagliacci que vous dirigez actuellement à l'Opéra de Toulon ?
Cavalleria Rusticana et I Pagliacci sont deux opéras majeurs du répertoire musical italien de la fin du XIXe siècle. Les deux partitions exigent en particulier une distribution vocale de premier plan, un chœur très précis et un orchestre empli de demi-teintes. Il doit rendre l'urgence et la vérité intrinsèque de Cavalleria Rusticana et toute la richesse et le raffinement de l'écriture d'I Pagliacci, deux œuvres extraordinaires que le hasard a réunies et qui sont désormais indissociables l'une de l'autre.
On se souvient ̶ c'était en février 2012 ̶ d'une magnifique exécution de Lohengrin à Toulon. Il semble cependant que vous ne soyez, malheureusement, que peu sollicité pour le répertoire allemand. Cela vous chagrine t-il ?
J'ai dirigé deux titres wagnériens - Der Fliegende Holländer et Lohengrin - qui représentent pour moi des étapes fondamentales dans mon parcours artistique. Le défi de Lohengrin en particulier ̶ comme vous vous en rappelez si aimablement ̶ a été peut-être l'un des moments les plus importants de toute mon activité à Toulon, un véritable point de mire de tout un parcours mené tout au long de ces longues années. Oui, je regrette vraiment de ne pas avoir plus souvent l'occasion de fréquenter le répertoire allemand.
À Toulon, vous vous partagiez entre l'Opéra et le répertoire symphonique, était-ce important pour vous ?
L'activité symphonique est très importante pour un chef d'orchestre d'opéra, tout comme le répertoire lyrique est essentiel pour un chef plus enclin aux concerts. Mais nous parlons évidemment de la même chose et non pas de deux entités différentes. Certes, la pratique du théâtre musical enrichit la fréquentation de la salle de concert alors que la problématique instrumentale développe de nouvelles suggestions : la respiration illumine souvent un phrasé tandis que la discipline exécutive exalte sûrement les intentions théâtrales.
Quels sont vos prochains projets ?
En ce moment, j'ai développé un rapport très important pour moi avec le Staatsoper de Stuttgart, où je viens de diriger Les Puritains et Rigoletto et où je dirigerai dans le futur de nouvelles productions d'Ariodante et de Don Pasquale ; je suis également en rapport avec l'Opéra de Francfort, où je dirigerai Stiffelio ce mois-ci, ainsi qu'avec l'Aalto Theater d'Essen, où je suis attendu pour une nouvelle production du Prophète de Meyerbeer. Mais il y aura aussi Tancredi à l'Opéra de Marseille, Roméo et Juliette à Montréal, La Bohème à Dallas...
Propos recueillis à Toulon par Emmanuel Andrieu
07 octobre 2016 | Imprimer
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