Nous étions là pour ses débuts scéniques, c’était à Toulon en février 2015 dans une production de Kata Kabanova, et le chemin parcouru par la superbe mezzo française Valentine Lemercier est déjà impressionnant. Nous l'avons applaudie par la suite dans La Chauve-Souris en Avignon, La Cenerentola à Tours, Madama Butterfly aux Chorégies d'Orange, ou encore tout dernièrement dans Carmen (rôle de Mercédès) à Montpellier. Trois ans après son premier rôle, elle chante déjà celui dont rêve toutes les mezzos, Carmen, dans une production signée par Fanny Gioria pour La Fabrique Opéra Avignon Provence, une nouvelle structure lyrique en Avignon. Nous avons rencontré à cette occasion la jeune cantatrice française promise à un bel avenir (lyrique) !
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Opera-Online : Nous nous rencontrons après une représentation de Carmen à La Fabrique Opéra Avignon Provence. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Valentine Lemercier : Je suis très heureuse de ce travail accompli ces dernières semaines. Je parle bien sûr au nom de l'équipe que nous formons. Nous répétions depuis fin Mars et attendions la première avec excitation et impatience. Pour ma part, je me sens chanceuse d'avoir pu aborder ce rôle dont rêvent toutes les mezzos, et encore plus à mon âge, puisque je viens de fêter mes 27 ans... C'est une belle opportunité pour moi de participer à ce projet solidaire et inventif, de chanter le rôle de Carmen dans des conditions pas forcément évidentes puisque, par exemple, la configuration de la salle est bi-frontale (NDLR : la scène est au milieu et le public de chaque côté), et donc le chef d'orchestre n'est pas toujours visible pour nous… Il faut jongler avec ces conditions originales ! J'espère que je chanterai à nouveau ce rôle merveilleux dans de vrais théâtres d’opéra, et ces représentations en Avignon m'auront permis de le « digérer », d'en prendre doucement possession dans mon corps et dans ma voix. Je prends énormément de plaisir et de passion à chanter Carmen et je peux dire officiellement qu'il fait partie maintenant de mon répertoire !
Quelle est votre approche du personnage de Carmen ?
Carmen est avant tout une femme LIBRE, libre d'être une femme, libre d'esprit, libre de penser et de disposer de son corps… Carmen n'a peur de rien et assume tous ses faits et gestes. Elle vit au jour le jour et on ne peut rien lui imposer. Elle est maître de son destin et ne craint pas la mort. A la fois animale et sensuelle, elle fonctionne à l'instinct et avec ses tripes. C'est un rôle de femme qui est difficile à incarner dans la réalité de notre société.
Vous êtes-vous sentie libre de proposer des choses pendant les répétitions ?
Le travail avec Fanny Gioria (NDLR : la metteure en scène) a été très instructif. Elle avait déjà une vision préétablie de sa mise en scène, et voulait y mettre des touches alla Almodovar, notamment dans la scène finale. J'ai beaucoup aimé sa façon de concevoir le personnage de Carmen, et je me suis sentie tout à fait libre d'exprimer la mienne. Fanny est une femme qui a ses idées mais qui reste très à l'écoute des chanteurs et de leurs opinions.
Comment trouvez-vous la réalité d'un personnage lorsque vous n'avez pas encore l'expérience de la scène ?
Il est vrai que je n'ai encore jamais trop chanté de premiers rôles, et que mes débuts scéniques ne datent que de 2015… J'ai la chance de travailler depuis un peu plus de trois années maintenant dans des Opéras comme ceux de Lyon, Toulon, Orange, Tours, St Etienne ou encore Avignon… J'ai chanté dans de nombreuses productions en second plan qui m'ont permis de découvrir la scène, le théâtre, d'observer mes collègues. J'ai toujours voulu faire ce métier et je ne m'imagine pas faire autre chose. J'ai vu de nombreux opéras, et des mises en scènes très différentes… Pour le reste, il ne me manquait plus que de me jeter à l'eau ! (rires). Pour ce qui est de cette Carmen, avec ma vision personnelle du personnage et l'aide de Fanny, je ne me suis pas posée énormément de questions. Je pense qu'il faut aussi fonctionner à l'instinct, ce qui permet de garder le naturel, chose essentielle pour interpréter Carmen !
Revenons à votre vocation : comment la voix s'est-elle imposée à vous comme mode d'expression idéal ?
J'ai toujours chanté depuis mon enfance. J'ai même conservé mon journal intime de mes 10 ans où j'ai écrit : « Plus tard, je serai chanteuse ! ». J'ai commencé par chanter un peu de variété en guise de loisir, puis je me suis vite lassée et j'ai voulu tenter le lyrique vers l'âge de 16 ans. J'avais un arrière-grand-père qui me faisait danser et chanter lorsque j'étais enfant. Il écoutait beaucoup d'opérettes et moi j'adorais me déguiser, jouer la comédie et créer des spectacles pour ma famille. Je pense souvent à lui avant de monter sur scène, et je pense que le goût pour l'art et la musique me vient de lui, ainsi que de mon arrière-grand-mère Valentine…
La façon dont s'organise votre carrière correspond-elle à votre attente ?
Je me sens très chanceuse de pouvoir vivre de mon métier. Je dois remercier des personnes telles que Raymond Duffaut, Claude-Henri Bonnet ou Alain Duault, de m'avoir rapidement fait confiance. Je chante dans de nombreuses productions et je suis toujours en train d'apprendre. L'évolution de ma carrière me satisfait pleinement ! J'espère que par la suite, certains directeurs me feront confiance pour chanter des rôles de plus en plus importants…
La solitude semble faire partie intégrante du métier de chanteur…
C'est vrai, c'est un peu le « revers de la médaille », le côté caché du métier auquel on ne pense pas toujours. Parfois, je pars en production pendant un mois sans pouvoir rentrer chez moi, sans voir mon conjoint ou ma famille… Le soir, après une représentation où vous avez vécu la joie, l'euphorie du public, le stress, les applaudissements, vous rentrez chez vous, mais il n'y a personne avec qui échanger : soudain c'est le silence ! Il faut l'apprivoiser… Le plus important est de savoir que l'on est aimé et soutenu, même si nos proches ne sont pas toujours là !
Que pouvez-vous dévoiler de vos projets ?
Je ferai mes débuts à l'Opéra Bastille dans le rôle de Mercédès dans Carmen la saison prochaine, puis mes débuts également à l'Opéra de Monte-Carlo et de Marseille… Je vais aussi chanter lors d’une croisière (NDLR : sur Le Ponant) un programme dédié à l'Espagne, aux côtés d'Alain Duault, en Octobre prochain. Pour le reste, je dois encore garder le secret ! (rires).
Interview réalisée en Avignon par Emmanuel Andrieu
20 avril 2018 | Imprimer
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