L’histoire tout le monde la connaît : Roméo aime Juliette, Juliette aime Roméo, mais leurs familles respectives n’en veulent rien savoir et leur amour ne pourra se réaliser que dans la mort. Chez Bellini c’est… encore plus sombre ! Plus encore que dans la tragédie de Shakespeare, le sang coule sans trêve entre les familles ennemies.
Si l’on en croit les couleurs de leurs costumes (respectivement rouges et noirs), les épées plantées en avant-scène avant le lever de rideau, les éclaboussures sanglantes qui maculent les portes du palais des Capulet et l’atmosphère de Saint Barthélemy, c’est ce que tend à mettre en avant la production – plusieurs fois reprise à l’Opéra Bastille depuis 1996 – de Robert Carsen.
Il a choisi de placer l’intrigue dans un décor épuré seulement cerné de panneaux de bois – étrangement ressemblants à ceux des couloirs de l’Opéra Bastille. Vêtus de pourpoints de velours et tous armées d’épées immenses, les hommes du chœur (sublime !) de l’Opéra de Paris y déambulent dans une lumière digne des plus beaux tableaux de la Renaissance italienne. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette mise en scène : le jeu subtil entre l’ombre et la lumière, un procédé cher au metteur en scène canadien qui fait ici particulièrement son effet.
Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra font des merveilles. On est chaque fois plus émerveillé par la qualité des cordes, les solos des vents – très à l’honneur dans cette partition, en particulier un cor superbe au début de la deuxième scène – et la netteté des percussions qui rehaussent l’ensemble avec une précision infaillible. Pour cette reprise, c’est le chef italien Bruno Campanella qui dirige l’ensemble avec une direction un peu resserrée, voire un peu terne au début mais qui s’aère dès la deuxième scène pour laisser respirer le phrasé bellinien, un phrasé parfaitement maîtrisé par les chanteurs de cette distribution. Sommet du bel canto, I Capuleti e i Montecchi ne peut être entendu qu’avec des interprètes rompus à ce répertoire. Et le casting est ici idéal !
Dans le rôle de Capellio, le père de Juliette, la voix puissante du baryton-basse Paul Gay habite sans peine l’espace, tandis qu’à ses côtés le ténor Charles Castronovo interprète un Tybalt à la voix légère. Sa présence scénique est avantagée par son physique de jeune premier et par un legato maîtrisé. Pour incarner le personnage clé du frère Lorenzo, complice des deux amants, la jeune basse Nahuel di Pierro dispose de la stature bienveillante nécessaire mais, s’il révèle une belle voix, le phrasé paraît parfois un peu sec. Souffrante le soir de la générale, la russe Ekaterina Siurina a dû être remplacée par Yun Jung Choi. Toute de blanc vêtue, la soprano possède une très jolie voix et des aigus d’une pureté renversante - particulièrement dans l’air Quante volte au premier acte, qui incite au recueillement. Dans la deuxième scène, sorte de long duo amoureux, le mariage scénique avec son Roméo est heureux et l’équilibre des voix est parfait. D’autant que, dans cette histoire de chastes amours contrariées, la mezzo-soprano française Karine Deshayes tient le haut du pavé vocal. Aussi convaincante en adolescent bravache capable de soulever une armée, qu’en amoureux enflammé, elle apporte au rôle de Roméo la douceur et la jeunesse qu’il requiert. Sa voix ne recule devant aucune difficulté et pourtant la partition ne l’épargne pas : oscillant constamment du très grave au très aigu, la chanteuse montre une agilité vocale et un vibrato infaillibles. Les nuances sont admirables, les graves très ronds ne manquent jamais de projection et les aigus donnent le frisson – notamment lorsqu’ils dominent l’armée des chœurs masculins dans les ensembles.
Le mythe des deux amants offre à Bellini le terrain idéal pour tisser de sublimes duos, et des ensembles grandioses. A la fin de la troisième scène, un quintette vocal commençant a cappella, interprété face au public, dans une douche de lumière, donne des accents sacrés au bel canto italien. Portée par cette distribution exceptionnelle, que domine Karine Deshayes, la production est un véritable hymne à la voix.
Les Capulet et les Montaigu de Bellini, jusqu’au 23 mai à l’Opéra de Paris.
25 avril 2014 | Imprimer
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