« Pas un mot à vos Pénélope ! » lance Don Alfonso (le charismatique baryton brésilien Paulo Szot) à ses bizuts, dès la première scène du troisième volet de la trilogie Mozart/ Da Ponte… Lorsque le rideau se lève, on se laisserait volontiers distraire par l’actualité politique pour s’échapper de ce qui s’annonce d’un ennui mortel : un immense plateau vide et blanc, entre piste de hockey sur glace et studio de danse désaffecté, pas d’accessoire, des costumes modernes un peu tristes et des chanteurs droits comme des i qui n’échangent pas un regard.
© Anne Van Aerschot
© Anne Van Aerschot
Et puis… Est-ce la magie gracieuse de la danse ? L’élégance du geste des chanteurs qui porte la marque de la première mise en scène à l’Opéra de Paris, de Cosi fan Tutte, de la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker ? La manière raffinée dont chanteurs et danseurs occupent le plateau ? Ce que la pudeur empêche d’exprimer par des mots, ce sont les corps qui l’articulent, à travers ces doubles muets. Subtilement, leurs mouvements se font contagieux pour accompagner Dorabella (Michèle Losier), puis Fiordiligi (Jacquelyn Wagner) dans leur inévitable abandon.
Côté salle, on a déjà rendu les armes devant un tel niveau de chant. Parvenant à déclencher les premiers applaudissements avec un Come Scoglio impeccable, c’est avec un Per pieta d’un raffinement infini que la soprano conquiert les faveurs du public. Mozartienne reconnue, la mezzo-soprano canadienne qui campe la plus naïve des deux sœurs sublime elle aussi ses deux airs, notamment le redoutable Smanie implacabili qu’elle livre avec une fraîcheur réjouissante. Vocalement peut-être un peu moins affirmée, mais physiquement plus éprouvée par la mise en scène – et le livret – qui la fait courir partout, la très jolie Ginger Costa-Jackson, interprète une Despina piquante, tandis que le jeune baryton Philippe Sly propose un Guglielmo romantique, doté d’un sens du phrasé plus que prometteur.
Superlatif dans la conduite de son Un aura amorosa, Frédéric Antoun se révèle un superbe ténor mozartien. Voix homogène, longueur de souffle, timbre lumineux, rien ne semble manquer à ce jeune canadien déjà bien installé dans sa carrière lyrique.
Pour parachever – et diriger – ce tableau vocal sans faille, la baguette de Philippe Jordan (qui alterne avec Lohengrin à l’Opéra Bastille) se fait caressante. Modelant un parfait équilibre entre les timbres dans la fosse, le chef crée une complicité bienveillante avec le plateau, accentuant sans doute le caractère intime qui règne dans ce cocon mozartien.
On sortira de ce paradis blanc trois heures et demie plus tard, sans, finalement, une minute d’ennui, pour retrouver le froid… et l’actualité.
Cosi fan tutte de W.A. Mozart, jusqu’au 19 février à l’Opéra de Paris
* Ce spectacle sera diffusé en direct dans les cinémas UGC le 16 février
27 janvier 2017 | Imprimer
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