Subtilité de cette reprise, l’Opéra Bastille annonçait une « nouvelle version », à défaut d’une nouvelle production, pour supplanter la mise en scène de Jean-Louis Martinoty très critiquée lors de sa création en 2011. Si le décor en Tour de Pise de Johan Engels a été conservé, afin d’éviter le tollé la maison a fait appel à un nouveau metteur en scène, Jean-Romain Vesperini, dont le parti pris est plus clair dans la note d’intention que sur le plateau : tout l’opéra ne serait que l’ultime hallucination d’un Faust troublé par l’absorption du poison. Direction d’acteurs minimaliste, ternes costumes des années 30 et accessoirisation plus que sommaire du plateau (un bureau, un bar, un arbre et un cercueil se succèdent pour seul mobilier), le spectacle tourne vite à l’ennui.
Heureusement, c’est autour de la distribution vocale que résidait toute l’attente de ce Faust, et côté plateau la déception n’est pas de mise.
Et dans le rôle-titre d’abord, c’est le ténor polonais Piotr Beczala, qui domine la soirée de sa présence rayonnante. Prouvant que puissance et raffinement ne sont pas antinomiques, le chanteur occupe les volumes de la Bastille avec aisance et dévoile des trésors de sensibilité quand il s’agit de rendre hommage au génie de Gounod, notamment dans le fameux « Salut demeure chaste et pure » (où le redoutable contre ut est d’ailleurs émis sans difficulté). Enfin, une diction plus qu’acceptable achève de parfaire ce tableau du Faust idéal. Des qualités qu’on ne retrouve malheureusement pas chez Ildar Abdrazakov, visiblement fâché avec la langue (et la battue !) et qui peine à habiter l’espace sonore. Néanmoins, le charisme et le jeu de la basse russe parviennent à rendre son Méphisto très convaincant sur le plan scénique. Autre figure masculine de cette distribution, Jean-François Lapointe semble parfois forcer pour satisfaire les exigeantes dimensions de la salle, mais campe un Valentin très investi, particulièrement émouvant dans l’air « Avant de quitter ces lieux ».
De son côté, la soprano Krassimira Stoyanova sublime le rôle de Marguerite de sa voix charnue et de son legato délicat. L’émission des aigus est parfaitement contrôlée et la chanteuse promène l’auditeur dans le célèbre air des bijoux au gré d’un élégant rubato. Dans le rôle du jeune Siebel, la soprano Anaïk Morel, dévoile un timbre charmant et un phrasé des plus élégants, tandis que Doris Lamprecht révèle une fois de plus son potentiel comique en incarnant une Dame Marthe rafraichissante.
Si elle n’est pas exactement d’une précision millimétrique, la direction de Michel Plasson – dont le savoir-faire dans ce répertoire n’est plus à prouver – reste la principale valeur ajoutée du spectacle. Une nouvelle fois, le chef met en lumière la sonorité extraordinaire de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et dévoile toutes les couleurs de cette partition, sans jamais toutefois tomber dans le pathos.
Enfin, Faust ne serait pasFaust sans la présence des chœurs, et celui de l’Opéra de Paris fait une fois encore des merveilles et, rejoint par l’orgue aux IVe et Ve actes, l’ensemble réussit à lui seul à réveiller le spectateur endormi par la grisaille visuelle d’un frisson envoutant.
De quoi se damner.
Albina Belabiod
- Faust de Gounod, jusqu’au 28 mars à l’Opéra Bastille www.operadeparis.fr
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