Au Théâtre des Champs Elysées, les mises en scènes se suivent et se ressemblent. Mais si l’on retrouve dans cette Clémence les costumes gris, les décors des années 30 et les murs boisés de précédentes productions opératiques de la maison, un vent racinien souffle sur la célèbre salle de l’Avenue Montaigne.
En effet, la mise en scène a été confiée à Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie Française, qui choisit de replacer les amours contrariées de Titus et Bérénice au centre de cette histoire. Les derniers vers de la tragédie de Racine servent d’ailleurs de préambule au spectacle et l’ombre de cet amour perdu planera sur tout l’opéra.
Egalement en référence au théâtre racinien, l’action se déroule dans une unité de temps et de lieu concentrée dans un vestibule (ici d’un hôtel de luxe) où les personnages se retrouvent, s’affrontent et se confient. Si la mise en scène et la scénographie ne proposent pas d’idée franchement géniale, la direction d’acteur exigeante et inspirée, ainsi que quelques scènes – notamment le final chaotique du Ier acte – visuellement superbes, suffisent à donner à l’œuvre le panache qu’elle mérite.
Et ce travail sur le jeu se ressent aussi dans la musique. L’interprétation prime toujours sur la démonstration vocale : ici on hurle, on murmure, on sanglote avant que de chanter.
Une interprétation particulièrement théâtrale, qui imprègne également la direction de Jérémie Rhorer. Le plus mozartien des chefs français, qui poursuit ici un cycle consacré à son compositeur de prédilection entamé il y a trois ans au Théâtre des Champs Elysées, confirme une fois de plus sa grande précision dans ce langage musical. Les tempi sont très contrastés, les nuances très marquées et les solos – de vents notamment, très sollicités par cette partition – sont mis en valeur avec beaucoup d’élégance. Une direction attentive réservée aussi à son plateau vocal, qu’il couve d’une attention particulière, laissant respirer les phrases, soulignant les lignes et faisant l’orchestre tantôt discret quand les graves peinent à se faire entendre, tantôt prédominant quand des faiblesses apparaissent. Des faiblesses qui viennent malheureusement surtout du rôle-titre. Le Titus de Kurt Streit manque de majesté et des problèmes de justesse émaillent chacune de ses interventions, jusqu’à gâcher le chœur final.
Heureusement les autres rôles sont admirablement servis. La basse Robert Gleadow, qui interprète le rôle de Publius, impose une stature vocale impressionnante qui contrebalance le manque d’assurance du ténor.
Dans le rôle de Servilia, si Julie Fuchs peine à habiter un rôle trop discret pour elle, le mariage vocal avec son Annius (Julie Boulianne), s’avère idéal dans le duo « Ah perdona al primo affetto » révélant leurs deux voix légères et un même raffinement dans l’interprétation.
Autre rôle majeur de cette œuvre, celui de Sextus est très vaillamment interprété par la mezzo Kate Lindsey, qui en dépit d’une voix un peu légère pour le rôle, s’empare du personnage avec une conviction et une sincérité désarmantes.
Mais c’est la présence écrasante de la soprano canadienne Karina Gauvin qui domine le plateau. Malgré une partition qui sollicite un ambitus un peu trop large pour elle (du très grave au très aigu), sa Vitellia est dotée d’un timbre aux couleurs exceptionnelles et de nuances sublimes (a-t-on déjà entendu un « Non piu di fiori » plus bouleversant ?).
La tension dramatique installée par Denis Podalydès et la sincérité de la direction de Jérémie Rhorer donnent à ce tout dernier opéra de Mozart la poésie dont manque le livret et redonnent à sa musique le lustre que la postérité n’a pas toujours soigné.
Albina Belabiod
13 décembre 2014 | Imprimer
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