Rivalités amoureuses sur fond d’intrigues politiques : voilà comment pourraient être résumés les trois-quarts de la production opératique du 18ème siècle. Pour sa première commande d'opera seria, Mozart a 14 ans et bien l'intention de prouver à l'Europe entière qu'il n'a rien à envier à ses aînés. Sur un livret très conforme aux goûts de l'époque, le jeune homme compose en moins de trois mois une partition charmante, brillante démonstration d'un talent précoce et déjà bien au fait du goût de son époque. Si le discours harmonique est encore un peu vert, le sens de la mélodie et l'incroyable virtuosité des airs sont, eux, à couper le souffle, a fortiori pour une si jeune plume.
Inspiré par la tragédie éponyme de Racine, l'opéra alterne airs de bravoure et lamenti langoureux, sur fond de trahison historique, au Ier siècle avant J-C.
Un livret sans grand intérêt qui, s'il n'a pas brimé l'imagination du compositeur, ne semble pas avoir beaucoup inspiré Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la Comédie Française, à l'origine d'une proposition scénique illisible ; même la lecture attentive de la note d’intention présente dans le programme n’éclaire pas. On y comprend que l’homme de théâtre a souhaité remettre la tragédie de Racine au cœur du spectacle, mais la question reste entière : qui sont ces gens enlaidis par des costumes sans époque qui errent dans ce théâtre triste et délabré ?... Des comédiens en pleines répétitions ? Des résistants barricadés ? Des soixante-huitards prêts à abandonner la lutte ? Le jeune metteur en scène oublie manifestement de nous raconter une histoire et passé le charme d'un décor (signé Eric Ruf) plutôt séduisant, l'ennui guette.
Une monotonie heureusement réveillée par la vigueur déployée par Emmanuelle Haïm dans la fosse. A la tête de son Concert d'Astrée, la cheffe redonne à cette œuvre de jeunesse toute l'énergie et le lustre qu'elle mérite. Modelant avec une extrême précision et un raffinement admirable les airs et récitatifs, la baguette entraîne également un plateau de chanteurs exceptionnel.
Avec en tête de cortège, par ordre d'apparition, la soprano Patricia Petibon, star de cette distribution, qui démontre une fois de plus ses talents de mozartienne accomplie. Superlative comme toujours pour ce qui est de la souplesse dans les vocalises et du sens du phrasé, la chanteuse campe ici une Aspasia toute en retenue, particulièrement bouleversante dans son air "Pallid'ombre" et dans son duo avec Sifare "Se viver non degg’io". Un rôle de Sifare tenu par Myrto Papatanasiu, soprano elle aussi, et dotée d'une voix délicate et agile, particulièrement troublante dans ce rôle d'amant déchiré entre devoir et passion.
Elle aussi réputée pour ses atomes crochus avec Mozart, la jeune Sabine Devieilhe emporte les faveurs du public dès son entrée en scène, incarnant une Ismène lumineuse, dont la voix et le style résistent à toutes les difficultés de ces arias longues et très virtuoses. On retient son souffle lorsque la soprano ornemente les reprises de ses déjà légendaires suraigus, qu'elle émet sans démonstration et avec une facilité déconcertante.
Véritable surprise de ce casting dominé par les femmes, le contre-ténor Christophe Dumaux habite avec beaucoup d'intensité le rôle du traître Farnace, livrant notamment un air de la rédemption particulièrement émouvant au dernier acte.
Seul maillon faible de la soirée, le ténor Michael Spyres semble prendre des risques inutiles dans une partition déjà difficile, démontrant un manque d'agilité dans les vocalises et des aigus parfois hasardeux, malgré une nature de voix qui semblait pourtant idoine.
On notera la présence brève et tardive du jeune Cyrille Dubois : du rôle peu gratifiant de Marzio, le ténor réussit à marquer son unique air par un timbre clair et un phrasé souple.
Au royaume de Racine, c’est Mozart qui se fait roi, couronnant quatre reines superbes pour un public conquis.
Albina Belabiod
Mitridate, re di Pontode W.A. Mozart jusqu'au 20 février 2016 au Théâtre des Champs-Elysées.
13 février 2016 | Imprimer
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