Absente des opéras parisiens depuis près de vingt ans – à part pour un récital annuel au prix exorbitant – on guettait cette Bartoli scénique avec une impatience digne d’une veille de Noël. Une perspective d’autant plus excitante que c’est dans un opéra de Rossini, un de ses compositeurs de prédilection, que la chanteuse a choisi de célébrer ses retrouvailles avec le public français. En effet, deux ans après un passage très applaudi à l’Opéra de Zurich, le Théâtre des Champs-Elysées l’accueille dans une même production très attendue de l'Otello de Rossini.
Injustement huée le soir de la première parisienne, la mise en scène sobre de Moshe Leiser et Patrice Caurier nous transporte dans les années 60, dans un univers similaire à une administration coloniale sur le déclin. L’austérité des décors de Christian Fenouillat, donne un peu l’impression d’une production de crise. Seul parti pris intéressant, la mise en lumière subtile du racisme ambiant, une notion absente dans l’Otello de Verdi, mais bien présente dans le livret de Francesco Berio di Salsa pour l’opéra de Rossini. Si l’intérêt de cette mise en scène est tout relatif, la lecture de l’œuvre n’entrave pas l’écoute de la musique et respecte le texte : sans réel intérêt, mais « pas dérangeante », résumait-on à l’entracte.
Dans la fosse, les musiciens de l’Ensemble Matheus déçoivent. Les instruments d’époque ne pardonnent rien et les solos des vents – pourtant bien servis par cette partition – sont malheureusement souvent émaillés de faussetés et les traits manquent de précision. Sans surprise, le chef Jean-Christophe Spinosi a le bras nerveux. S’il soutient assez bien les ensembles vocaux, il surjoue l’espièglerie et l’ironie de l’écriture rossinienne, exagérant les nuances et les silences et ne laissant pas respirer la musique. Une musique pourtant naturellement contrastée, tantôt martiale, tantôt moqueuse, oscillant constamment entre la badinerie et le drame.
L’intérêt de cette production, réside évidemment dans la distribution vocale. Et le mélange des voix s’avère plutôt très heureux dans cet opéra qui regorge de duos et de trios sublimes. Dans le rôle d’Elmiro, père de Desdemona, le baryton Peter Kalman, seule voix grave dans cet opéra de ténors – cinq ténors sur huit rôles ! – révèle une belle profondeur dans l’interprétation, ainsi qu’un beau phrasé. Liliana Nikiteanu qui interprète Emilia, la suivante inquiète, bien qu’un peudétimbrée par rapport au reste du plateau, offre une voix chaleureuse et une présence scénique réconfortante. Quant à Barry Banks (Iago), il tient avec beaucoup de justesse le rôle du félon déterminé. Avantagé par une technique rompue aux lignes rossiniennes, ses aigus sont un peu claironnants, mais le timbre est clair et la voix puissante. Autre ténor de la distribution, Edgardo Rocha (Rodrigo), l’amoureux éconduit, manque un peu de projection et ses vocalises d’agilité. Il semble parfois faiblir face à la redoutable écriture rossinienne, mais les nuances sont très maîtrisées, le jeu d’acteur est juste et il s’avère plutôt endurant dans les duos / duels qui l’opposent à Otello dans le IIe acte, un Otello tenu par John Osborn. Son engagement physique est plus que limité, frisant la mollesse, mais le timbre est beau, les graves nourris et les aigus audacieux. Très émouvant, ses points forts restent sa grande musicalité et son phrasé quasi mozartien, doublés d’une grande aisance dans les vocalises. Presque à la hauteur de sa Desdemona.
Presque parce que sa Desdemona c’est la grande Cecilia Bartoli. Dans une élégante robe noire, lui taillant une silhouette d’actrice italienne, elle apparaît à la quatrième scène et éclipse le reste du plateau. Dès son premier duo avec Emilia, elle séduit par une voix qu’on reconnaîtrait entre mille et sublime sa partie de nuances toutes en retenue. Irréprochable sur le plan technique et montrant une virtuosité à toute épreuve dans le final du IIe acte, c’est pourtant dans les airs moins virtuoses qu’elle est la plus saisissante. La mezzo nous cueille sur chaque nuance, nous surprend sur chaque phrase. Particulièrement bouleversante dans le dernier acte, son interprétation du célèbre air du saule est d’un raffinement extrême, respectant l’épure d’une partition seulement rehaussée des quelques notes égrenées par la harpe.
Au pied du sapin, on n’a pas été déçu d’avoir dû attendre sagement pendant vingt ans pour redécouvrir un tel cadeau.
Albina Belabiod
Otello de Rossini au Théâtre des Champs Elysées, jusqu'au 17 avril
(Cinq opéras du compositeur seront à l’affiche, entre avril et juin, du Théâtre des Champs-Elysées)
Crédit photo : Vincent Pontet / WikiSpectacle - Théâtre des Champs-Elysées
09 avril 2014 | Imprimer
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