Créé en 1750 par un Haendel de 65 ans, Theodora, l’avant dernier oratorio du maître, constitue l’une des œuvres vocales les plus discrètes de la production du compositeur. Pour preuve, c’est la première fois que le public parisien peut entendre ce chef d’œuvre de la maturité, qui raconte les dernières heures de Theodora, jeune romaine convertie au christianisme et condamnée à la prostitution, puis à la mort, pour avoir refusé d’abjurer sa religion.
Malgré une dramaturgie plutôt opératique, par ses arias extatiques, quelques pointes d’orgue et ses chœurs lumineux, Theodora conserve les codes de la musique sacrée et s'avère être sans doute l’un des ouvrages les plus admirables du genre.
Pour cette première parisienne, c’est un plateau de chanteurs particulièrement charismatiques, que William Christie – à la tête de ses Arts Florissants des meilleurs jours - dirige avec une aura quasi mystique. Les solistes et les chœurs investissent les vers à la portée spirituelle d’un engagement sincère et habité, qui donnerait presque envie de s'inscrire à la paroisse du coin en sortant du Théâtre des Champs Elysées.
En tête de distribution, dans le rôle-titre, la britannique Katherine Watson, ancienne recrue de Christie pour son Jardin des Voix, dévoile, en plus d’une diction évidemment admirable, une de ces belles voix de soprano au timbre clair et enveloppant, campant une Theodora d’une grande douceur, quoiqu’un peu lisse. A ses côtés, c’est un très grand Philippe Jaroussky (Dydime) que l’on retrouve avec plaisir. Dès la première aria, le contre-ténor, dont les atomes crochus avec la musique sacrée ne sont plus à prouver, dévoile une ligne de chant des plus raffinées, des aigus aussi purs qu’à ses débuts et une légèreté dans les vocalises que l’on croyait désormais réservée à de plus jeunes voix de contre-ténor. La magie est toujours intacte et les duos au deuxième et au dernier acte entre Theodora et Dydime nous offrent quelques minutes de pur frisson grâce à une écoute mutuelle d'une rare intensité.
Et les rôles secondaires ne sont pas en reste: le jeune Callum Thorpe dans le rôle du cruel Valens, inflexible chef romain, avec son timbre sombre de basse aux graves très nourris est une belle découverte, tandis que le Septime du ténor Kresimir Spicer donne à ses arias une profondeur qui confère à ce personnage déchiré entre deux mondes toute sa dimension tragique – même si parfois l’on peut regretter une certaine brutalité dans les changements de registre. Quant à Stéphanie d’Oustrac, si la mezzo-soprano française se fait discrète, c’est pour mieux habiter le personnage bienveillant et lumineux d’Irène, protectrice de Theodora, qu’elle gratifie d’une émission parfaite et d’une ligne délicate.
Côté décors et costumes, le travail d'Alison Chitty s’avère assez sommaire puisque seuls quelques pans d'épais murs de pierre viennent habiller la nudité du plateau, tandis que les habits fades des Chrétiens nous jouent « Cinquante nuances de beige ». On regrettera par ailleurs, une lecture un peu trop littérale, pour ne pas dire premier degré, du livret par Stephen Langridge; ici on brandit des bibles contre les matraques et l'opulence, voire la débauche, des Romains contraste trop souvent avec la vertueuse humilité des Chrétiens, auréolés d'un halo doré lumineux. Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain, car la mise en scène d'abord un peu fade réserve quelques beaux tableaux, baignés dans la lumière de Fabrice Kebour, vraisemblablement très inspiré par l'esthétique liturgique, et gagne en intensité au fil de la progression dramatique. Et tandis que les cadavres de Chrétiens s’amoncellent et que les photos des victimes recouvrent peu à peu les fameux murs épais, le résultat est là : on ne peut s’empêcher de penser à l’actualité.
Albina Belabiod
Theodora de Haendel jusqu'au 20 octobre au Théâtre des Champs-Elysées à Paris
12 octobre 2015 | Imprimer
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