7 Minuti à l'Opéra de Lyon : la force d'une œuvre

Xl_2025_7minutes___jeanlouisfernandez_072 © Jean-Louis Fernandez

Dans le cadre de son festival, l’Opéra de Lyon propose une nouvelle production de 7 Minuti, l’opéra « syndical » de Giorgio Battistelli créé à l’Opéra national de Lorraine en 2019. Il ne nous semble pas que l’œuvre – inspirée d’un fait réel – ait connu de reprise depuis. Heureusement, la maison lyonnaise s’en saisit dans une nouvelle production signée par Pauline Bayle.

Sans revenir dans le détail du livret comme nous l’avions fait à sa création, il est bon de rappeler que le cœur de l’œuvre est la décision cruciale que doivent prendre les représentantes des ouvrières de l’usine. Le dilemme ne semble pas en être un au début : renoncer à sept minutes de pause quotidienne afin de préserver l’emploi de toutes, le sacrifice ne paraît presque pas en être un. Toutefois, les discussions replacent cette décision dans un contexte plus large : multiplier par le nombre de jours de travail et les 200 employées, cela revient à embaucher sans embaucher. Accepter, c’est ouvrir la porte au sacrifice d’acquis sociaux, c’est imposer un exemple aux autres usines. L’individu et le collectif se heurtent sur bien des fronts dans ce livret où onze femmes ont entre leurs mains une décision qui pourrait avoir des conséquences bien au-delà des murs de l’usine.

Dans ce huis clos, la mise en scène s’avère un exercice délicat. Pauline Bayle nous écrase dans ce décors fermé aux murs immenses, gris, aux lumières de néon, dans lequel les faibles lueurs extérieures ne transparaissent jamais ou presque. Deux portes en hauteur, ouvertes pour les arrivées de deux personnages ou pour satisfaire l’envie de fumer d’une autre, rappellent qu’il y a un monde extérieur, mais qu'on ne s’y trompe pas : cette grande salle n’est qu’un « espace prison », comme l’indique la metteuse en scène dans les notes de salle. Chaque femme est ici considérée comme individu mais aussi dans l’ensemble qu’elle représente. Elles ont donc chacune une citation, en plus d’une identité vestimentaires – les costumes sont de Pétronille Salomé –, sont présentées l’une après l’autre en ouverture, mais peuvent se retrouver dans certaines gestuelles.

7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez
7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez

La trouvaille la plus marquante demeure probablement la suppression de l’espace, lentement, imperceptiblement : le mur de fond de scène se rapproche, sans qu’on le remarque, jusqu’à faire disparaître les issues en hauteur. L’escalier ne mène finalement plus nulle part, et c’est pourtant le seul chemin pour apporter leur réponse. La pression se matérialise, l’étroitesse de l’espace reflétant celle de leur champs d’action, car comme le rappelle Pauline Bayle : « (...) il s’agit bien d’un piège, qui va d’ailleurs fonctionner à merveille. Quelle que soit l’issu du vote, ce sont les divisions qui l’emporteront et le poison de la suspicion qui s’infiltrera partout entre les femmes ». Les croix tracées sur ce mur afin de comptabiliser les votes s’avèreront être finalement le fil qui coud les lèvres des protagonistes, dont les visages sont projetés à cet emplacement. Les ouvrières absentes évoquées deviennent visibles par cette même idée de projection. Elles ne sont que onze sur scène, mais voyez combien elles sont réellement. Comme souvent, lorsqu’une femme prend la parole publiquement, ce sont souvent les voix de bien d’autres qui résonnent dans la sienne, ce que la scénographie parvient à matérialiser. Enfin, deux citations viennent ponctuer la soirée : « Coudre pour en découdre », issée en haut de scène en début de soirée pour y rester accrochée, et « De nos haillons tissons le linceul du vieux monde », collée lettre par lettre sur le mur du fond en fin de débat. Le Linceul du Vieux Monde rappelle l'œuvre homonyme de Christophe Girard relatant la Révolte des Canuts, ces ouvriers lyonnais travaillant dans la soie... Un écho particulièrement parlant donc dans la capitale des Gaules.

7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez
7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez

Afin d’incarner ces onze ouvrières, toutes importantes, même si Blanche demeure la figure de proue de ce navire qui tangue. Le mezzo rond et profond de Natascha Petrinsky impose ce caractère de meneuse, une autorité naturelle portée par une sagesse de l’âge et de l’expérience. Sa plus fidèle comparse, Odette, est incarnée par Nicola Beller Carbone, dont l’ampleur vocale continue de ravir dans le registre contemporain où nous l’avions déjà entendue lors du dernier festival. La force de son interprétation se projette une fois encore dans son interprétation et inversement. Sur scène, sa fille Sophie apparaît sous les traits d’Elisabeth Boudreault, entendue pour sa part en 2022 in loco. La dramaturgie l’habite et confère à son personnage une fragilité sans excès. La voix vole, portée par l’incertitude du personnage.

La plus rebelle de ces femmes demeure sans doute Rachel, dont l’interprète, Shakèd Bar, est malheureusement annoncée souffrante en ce soir de première. Elle est donc bien présente sur scène, où elle défend avec fougue le personnage, mais elle est doublée vocalement sur le côté par la créatrice du rôle, Eleonora Vacchi, dont les aigues piquent tel un dard qui va droit au but. En Mireille, Jenny Daviet ne démérite pas, de même que la Lorraine, personnage au caractère marqué de Lara Lagni, ou la Zoélie d’Eva Langeland Gjerde, solide et déterminée. La Sabine de Sophia Burgos s’avère mordante, aux aigues ciselées, tandis que le mezzo de Jenny Anne Flory l’impose en Arielle au caractère profond, dont la voix s’envole avec largesse.

Enfin, les deux étrangères de ce groupe d’ouvrières sont interprétées par Anne-Marie Stanley, discrète Mahtab dont la prise de parole se fait rare mais plus longue que ses consœurs, marquée par un soprano charnu particulièrement appréciable ; mais aussi par Giulia Scopelliti qui, dans le rôle de la polonaise Agnieska, subit bien des moqueries de la part de certaines de ses camarades, allant jusqu’à une poursuite physique.

7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez
7 Minuti, Opéra national de Lyon (2025) © Jean-Louis Fernandez

En fosse, Miguel Pérez Iñesta dirige l’Orchestre de la maison dans des sonorités contemporaines qui laissent sa place à la musicalité de la langue italienne. Les écarts sont nombreux, l’oreille n’a pas de répit, mais le chef mène brillamment le navire aux grés de ces flots, n’éclaboussant jamais les voix qui restent en premier plan. Malgré les éventuelles longueurs de la partition ou du livret – l’attente de Blanche en début de soirée pourrait être raccourcie même si cela est particulièrement fidèle au ressenti de l’histoire – la fosse n’endort jamais par des lourdeurs intempestives et demeure à l’écoute de son monde.

Troisième et dernière production du festival, 7 Minuti est peut-être celle qui marque finalement le plus, par l’intelligence de sa mise en scène au service du texte, les problématiques que posent l’œuvre, ou encore sa proximité avec nous. À défaut du pouvoir, les femmes ont ici la parole ; même prises au piège dans un vote qui les pousse à être perdantes quel qu’en soit le résultat, elles refusent de simplement hocher la tête sans écouter les autres points de vue, sans chercher une solution meilleure que ce qui est proposé. Au final, si la production demeure une réussite, le grand triomphateur demeure le livret, mis en valeur par l’ensemble de la distribution, la mise en scène et la direction musicale. La fin suspendue ouvre d'ailleurs à poursuivre le débat entre nous...

Elodie Martinez
(A Lyon, le 15 mars 2025)

7 Minuti à l'Opéra de Lyon jusqu'au 29 mars 2025.

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