En cette fin d’année, l’Opéra de Dijon a décidé de programmer dans l’enceinte du Grand Théâtre une des œuvres françaises les plus jouées, Les Contes d’Hoffmann. Toutefois, ce n’est pas une version conventionnelle que nous propose la maison dijonnaise, mais une redécouverte à travers « un nouveau spectacle faisant appel au théâtre, à la vidéo, et aux créations sonores ».
Le discours consistant à expliquer que, peu ou prou, nous allons faire ce que Offenbach aurait réellement aimé faire, et que l’on sait donc presque mieux que lui-même ce qu’il aurait souhaité, a certainement de quoi faire se dresser quelques cheveux. Nicolas Chesneau s'explique en effet dans la vidéo de présentation de la production :
« Comme Offenbach n’a pas livré sa version définitive (puisqu’il est mort avant d’avoir pu à la fois orchestrer et faire les répétitions à l’Opéra Comique), on sait qu’il aurait fait des coupes, qu’il nous aurait donné les clefs de l’œuvre pour savoir exactement comment il aurait organisé le tout. Nous, on est parti finalement d’une des éditions qui existent et on en a fait notre version. On est même presque reparti avant, avec le travail qu’il a fait avec le librettiste, et avec Mikaël Serre (le metteur en scène), on s’est permis de faire des coupures, de rajouter des textes, de faire tout un travail d’adaptation pour rendre la chose encore plus théâtrale, encore plus condensée. On ne se permet pas de finir l’œuvre ou de l’achever, mais au contraire même, presque de repartir du début, dans un travail qu’aurait peut-être fait Offenbach avec Barbier (le librettiste) en amont ».
Seulement voilà : il s’agit d’un travail qu’aurait peut-être fait le compositeur… La possibilité donne-t-elle le droit de réécriture ? Là est la question et nous avouons que c’est assez sceptique que nous nous sommes rendu à cette production des Contes d’Hoffmann entièrement retravaillée et réduite à deux heures sans entracte.
En nous attendant au pire, nous avons finalement été agréablement surpris. Certes, les coupures sont là, nombreuses, les textes parlés n’ont plus rien à voir et l’histoire est modifiée : ici, tout part bien de Stella, vedette d’opéra dont on verra et entendra des interviews entre chaque acte, mariée au poète Hoffmann et dont le couple bat de l’aile malgré un amour passionnel. Certes, Olympia n’a plus rien d’une gentille poupée, transformée en poupée armée prête à faire la guerre, Franz n’est pas sourd et devient le frère d’Antonia, tandis que le père de cette dernière devient ici violent et incestueux… Certes, le docteur Miracle est ici de connivence avec la Muse pour piéger Antonia et la Muse est d’une jalousie maladive, mais au final, tout ceci fonctionne étrangement.
La réécriture ne se fait pas sans respect de l’esprit des Contes d’Hoffmann, et le metteur en scène Mikaël Serre parvient à savamment maîtriser l’équilibre entre l’apport nouveau et l’œuvre de base à laquelle le public s’attend et qu’il connaît bien ! Les grands airs sont ainsi conservés, et cette approche humaine d’Hoffmann qui se réfugie dans un fantasme où la Stella qu’il aime ne cesse d’être présente est loin d’être dénuée d’intérêt. La condensation de l’œuvre la rend ici efficace, sans jamais perdre le spectateur, même si l’on s’interroge parfois sur le besoin de tant de violence et de cet ajout de la question d’inceste. On s’aperçoit alors que cela entre très probablement dans la réflexion du metteur en scène qui voit dans l’œuvre l’occasion de s’interroger sur le rapport entre homme et femme, et surtout la vision qu’ont les hommes des femmes : diva inaccessible, objet mécanique créé pour eux, femme fragile qui ne rêve que de chanter et qui en meurt, ou encore séductrice qui parvient à voler l’image d’un homme, ou son ombre…
Marie Kalinine, Samantha Louis-Jean et Kévin Amiel ; © Gilles Abegg
Samantha Louis-Jean et Kévin Amiel ; © Gilles Abegg
Dans un décor où résonnent des flippers, autre fil conducteur de la production qui permettent un ajout sonore là aussi savamment exploité, les personnages évoluent et sont fort bien dirigés. Une mention toute particulière pour la soprano franco-canadienne Samantha Louis-Jean qui fait ici montre d’un véritable talent de comédienne. Comme si une prise de rôle ne suffisait pas, c’est ici aux quatre héroïnes que se frotte la jeune chanteuse, passant de Stella à Olympia puis à Antonia et à Giulietta avant de redevenir Stella. Si les vocalises de la poupée sont réalisées avec succès, le timbre quelque peu rond laisse une impression étrange et contrebalance l’aspect mécanique réussie dans la prononciation. Antonia permet toutefois à la chanteuse de laisser s’épanouir sa voix, apportant au personnage toute sa fragilité, mais le rôle de Giulietta est peut-être de trop vocalement car il fait appel à certaines notes graves qui demandent un effort à la soprano.
Dans le rôle-titre, Kévin Amiel (qui interprète Hoffmann pour la première fois lui aussi) possède la voix, la prononciation, le souffle et le timbre parfait pour ce rôle. Si l’on devine une perfectibilité dans sa ligne vocale, on retient surtout ses aigues et ses mediums saisissants et intenses. Damien Pass incarne pour sa part l’agent de Stella, Lindorf, ainsi que tous ses doubles. Ses paroles prononcées dès le début, « j’ai dans le physique un aspect satanique » conviennent à merveille à son interprétation envoûtante, tant vocalement que scéniquement. Il parvient, de plus, à donner à chacun de ses personnages une personnalité propre tandis que la voix, elle, séduit nos oreilles par sa projection et ses graves, larges, profondes et même colorées.
La Muse est pour sa part interprétée par Marie Kalinine qui, si elle convainc par l’intensité et la palette de sa voix, laisse plus dubitatif sur la qualité de son jeu qui manque de naturel et se trouve parfois trop poussé. Enfin, citons l’excellent Franz de Matthieu Chapuis, attachant et de toute beauté dans sa ligne de chant.
Nicolas Chesneau est à la tête d’un ensemble de 11 instrumentistes placés en arrière du plateau, derrière un rideau de tulle, permettant aux solistes d’être naturellement placés devant l’orchestre mais ce qui entraîne parfois des projections plus fortes qu’il n’est nécessaire. La partition retravaillée est ainsi rondement menée, offrant une lecture nouvelle de l’œuvre qui, ramenée à une atmosphère chambriste, permet d’apprécier la partition de manière plus intime.
Une production étonnante qui s’avère finalement loin d’être la réécriture complète et totalement loufoque que l’on pourrait craindre, et qui amène même une nouvelle lecture possible des Contes d’Hoffmann.
Elodie Martinez
Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra de Dijon jusqu'au 23 décembre 2017.
19 décembre 2017 | Imprimer
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