Alors que l’Opéra de Lyon proposait un bel Elias pour les Fêtes – mais loin du ton festif qui sied généralement à cette période de l’année – il enchaîne pour ce premier mois de l’année avec la reprise toute en légèreté du Barbe-Bleue d’Offenbach imaginé par Laurent Pelly et dont nous rendions compte en 2019. Moins de cinq ans plus tard, le succès et l’amusement sont toujours au rendez-vous.
Nous ne reviendrons pas en détail sur le travail du metteur en scène déjà évoqué dans nos colonnes. Les courbes exagérées de Boulotte – sans en être caricaturales – ainsi que les gags fonctionnent toujours sans lasser, comme lorsque le chœur reprend les mouvements de Boulotte pour désigner la maison de Fleurette, ou bien lorsque les dames d’honneur enjambent le corps du Prince comme si de rien n’était lors du mariage dans le dernier acte.
Barbe-Bleue, Opéra de Lyon © Bertrand Stofleth
Si l’on retrouve la scénographie que l’on connaît déjà pour l’avoir vue sur scène – et à l’écran – il en est de même pour plusieurs rôles, la distribution étant partiellement identique à celle de 2019. C’est notamment le cas de Jennifer Courcier (Fleurette) qui demeure légère, mais dont la projection se perd un peu, de Christophe Mortagne qui retrouve sa couronne de Roi Bobèche, ou encore de Thibault de Damas qui reprend le rôle du Comte Oscar avec la noblesse et la déclamation que cela incombe. L’interprète n’a rien perdu de son jeu comique et demeure un maître dans les rôles tyranniques riducules (on a toujours en tête son Roi Carotte également lyonnais). Avec sa voix et ses accents reconnaissables, il offre un portrait jouissif du monarque. Néanmoins, c’est bien la Boulotte d’Héloïse Mas qui marque particulièrement les esprits et se hisse sans difficulté au niveau – si ce n’est au-dessus – du rôle-titre. Les accents champêtres, le jeu, la démarche, les mimiques offrent un personnage haut en couleurs attachant, drôle et en même temps parfaitement ancré et crédible dans cette histoire rocambolesque. Au jeu s’ajoute la voix avec une belle projection, une belle élocution, de belles couleurs et des miroitements entre soleil et terre, ces éléments agricoles que la cantatrice retranscrits jusque dans son chant/champ.
Barbe-Bleue, Opéra de Lyon © Stofleth
Face à ces noms connus se mêlent d’autres nouveaux : Jérémy Duffau prête son visage angélique et sa voix solaire au Prince Saphir. A la fois prince juvénile et jeune homme harcelé victime de Boulotte, il demeure drôle et crédible. Julie Pasturaud endosse pour sa part le diadème de la Reine Clémentine, avec un excès comique qui ne fait pas de compromis avec le chant, fort d'une ligne assumée qui intègre le côté décalé de la pièce. Guillaume Andrieux est méconnaissable et un luxe en Popolani, truculent à souhait, avec une voix ronde et légère. Enfin, Yann Beuron ayant mis fin à sa carrière, il fallait lui trouver un remplaçant digne de ce nom dans le rôle-titre. Le choix s’est porté sur Florian Laconi, qui connaissait le rôle pour l’avoir interprété à Marseille dans cette même production, mais dont l’émission manque parfois un peu de nuance – notamment dans la première partie de soirée où ses accents lyriques participent néanmoins au ressort comique. Inquiétant, lunatique, décalé, charismatique, il incarne bien le Barbe-Bleue version offenbachienne. Outre le petit défaut relevé, la projection et la diction sont appréciables – la première s’améliorant une fois le décor campagnard quitté.
Le chœur de la maison – préparé par Benedict Kearns – renouvelle l’enthousiasme de la dernière fois, poursuivant dans son excellence quel que soit le registre abordé. Il prête par ailleurs plusieurs solistes : Dominique Beneforti (Alvarez), Sharona Applebaum (Héloïse), Marie-Eve Gouin (Eléonore), Sabine Hwang (Blanche), Pascale Obrecht (Rosalinde), et Alexandra Guérinot (Isaure). Ces artistes prouvent qu’il aurait été dommage de se priver de tels talents pour des rôles solistes. L’expérience est à renouveler, et plus particulièrement pour Alexandra Guérinot dont la voix et la présence scénique se détachent et laissent regretter de ne pas l’entendre davantage.
Barbe-Bleue, Opéra de Lyon © Stofleth
Enfin en fosse, James Hendry s’agite à grands gestes pour diriger habilement l’Orchestre de la maison, offrant une multitude de couleur, des rythmes effrénés, un dynamisme et une gaieté à la partition. Il joue avec les tons plus solennels et plus sombres qui se prêtent à Barbe-Bleue, dans un sprint de presque trois heures (entracte inclus) dont il ne paraît même pas essoufflé, nous ayant entraîné avec lui dans la folie de la musique d’Offenbach.
La magie du compositeur demeure intacte, notamment servie avec autant de talents réunis. Une bulle d’oxygène pétillante qui n’en finit pas de briller dans la nuit du quotidien.
Elodie Martinez
(Lyon, le 24 janvier 2024)
Barbe-Bleue à l'Opéra de Lyon jusqu'au 4 février.
26 janvier 2024 | Imprimer
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