Chronique d'album : Il Canto della Nutrice, de Marco Angioloni

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Le calme estival nous permet de nous (re)plonger dans l’écoute de disques que la frénésie passée nous avait parfois contraints à laisser de coté. Erreur réparée pour Il Canto della Nutrice, paru chez Da Vinci Classics. Il s’agit du premier enregistrement du jeune ténor Marco Angioloni accompagné de l’ensemble Il Groviglio dont il est à l’origine. Un premier disque prometteur et surtout qui ose s’aventurer dans l’originalité d’un répertoire injustement laissé de côté : celui des nourrices à la voix grave, souvent décalées et drôles, mais à la psychologie finalement plus complexe qu'il n'y paraît.

Les rôles de nourrice sont en effet extrêmement nombreux dans l’opéra italien du XVIIe siècle : plus d’une centaine – 114 selon le livret –  rien que pour l’œuvre lyrique de Cavalli. Véritables personnages clefs, elles contribuent à l’intrigue, peuvent se montrer manipulatrices, coquettes, confidentes, participant généralement au comique avec le travestissement de ténors en femme. Une inversion sexuelle qui permet souvent des moments drôles et légers, mais dont il ne faut pas pour autant dénigrer la beauté ou le travail musical, comme le montre Arnalta dans L'incoronazione di Poppea, notamment dans son doux air « Adagiati, Poppea ».

C’est en interprétant Murmilla dans Richard Cœur de Lion de Telemann que Marco Angioloni a eu une révélation : ce « rôle-type » de l’opéra baroque italien possède en réalité bien des visages et aspects, parfois plus nombreux que pour les personnages dits « sérieux », avec une humanité permettant de véritables moments cathartiques avec le public. De là son envie de porter au disque ce personnage un peu oublié, injustement mis de côté comme le montre le nombre important de premiers enregistrements mondiaux présents sur l’album : douze (dont trois sinfonie) sur un total de dix-sept pistes.

Sans grande surprise, Cavalli est très présent avec non seulement un extrait d’Erismena et deux d’Eliogabalo – œuvres rares mais que nous avons néanmoins pu voir revivre au cours des dernières années, notamment à Versailles ou Genève pour la première, ou bien Paris pour la seconde – mais également des titres encore moins connus, comme Egisto avec la nourrice Dema, Muzio Scevola – dont la sinfonia ouvre le disque – avec Porfiria, ou encore Doriclea et Eritrea avec Melloe et Misena qui sont les deux premiers personnages que nous entendons. Scarlatti, Cesti, Alessandro Melani et Antonio Sartorio sont également de la partie, mais c'est bien « Voglio provar anch’io… »  (Doriclea, de Cavalli) qui lance les festivités. On entend parfois l’accent un peu grinçant du comique du personnage que l’on imagine sans peine, passée la surprise pour l’oreille qui n’est pas toujours habituée à ce travestissement de ténor. On entend également le soin apporté par Marco Angioloni au travail de prononciation, et l’on apprécie les quelques mouvements de la voix qui se libère, à de très courts instants, du comique du personnage pour offrir un accent plus noble.

Toutefois, les reflets plus sérieux et approfondis des personnages de nourrice n’édulcorent pas la fibre comique et l’énergie des personnages, notamment présents dans les duos avec la soprano Francesca Martini, comme dans « Zi zi, sento fischiare » extrait de L’Ottavia restuita al trono de Scarlatti, qui clôt le disque sur une touche animée et légère, des adjectifs qui restent tout de même d’actualité pour définir les nourrices. Le récitatif et l’air d’Alcesta, d’Erismena, montrent également une belle énergie et une maîtrise de la part du ténor qui détache avec précision son chant sans jamais rompre la ligne, tandis que l’air suivant, « Alfin son ancor bella… », traduit avec douceur l’Alcea d’Orimonte (Cavalli), permettant d’apporter la nostalgie qui teinte les souvenirs de la nourrice sans sombrer dans la trivialité du discours. Porté avec soin dans un bel équilibre par l’ensemble Il Groviglio, Marco Angioloni offre ainsi tout au long du disque un timbre dont la principale ambition est de rester fidèle au personnage, quitte à se montrer parfois un peu rude à l’oreille, tout en laissant entendre tout le caractère solaire qu’il possède dans un miroitement envoûtant. Seul bémol, le livret assez maigre qui accompagne cet enregistrement : outre les mots introductifs, une note explicative et deux courtes biographies, le tout uniquement en anglais, le lecteur n’y trouvera pas grand-chose. On regrette l’absence des paroles  – d’autant plus que l’ensemble des oeuvres oscille entre rareté et découverte pour l’auditeur – ainsi que de traduction, qui rend toujours le texte plus accessible.

Ainsi, avec ce disque, le ténor sort de l’archétype tirant à la caricature du personnage de la nourrice, à la fois omniprésent et discret de l’opéra italien, afin de proposer un nouveau point de vue et surtout un focus digne d’intérêt – l’un des autres attraits étant l’impressionnant nombre de premiers enregistrements mondiaux et, par conséquent, de découvertes. Ne reste plus qu’à en espérer des interprétations scéniques, et que cette nouvelle voie mène à un chemin de redécouverte plus vaste encore.

Elodie Martinez

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