Chronique d'album : Indiscretion, de The Curious Bards

Xl_indiscretion © DR

Après Ex-tradition, un premier disque très remarqué paru en septembre 2017 chez Harmonia Mundi, l’ensemble The Curious Bards réitère l’exploit de l’émerveillement musical avec Indiscretion, toujours chez la même maison de disque. Avec ce deuxième opus, l’ensemble de musique ancienne fondé en 2015 par le violoniste Alix Boivert poursuit son exploration du corpus musical irlandais et écossais du XVIIIe siècle. Le résultat est un disque d’airs à chanter et à danser (tels que les hornpipes, slip jigs, strathspeys) entraînants, joyeux, pleins de vie, « où les distinctions entre musique savante et inspiration populaire n’ont plus vraiment lieu d’être ».

Le livret prend d’ailleurs soin de le rappeler : « un élément important à prendre en compte pour la musique de cette époque et de cette région est qu’il n’y avait pas de distinction entre musique savante et musique traditionnelle : elles coexistaient, jouées dans les maisons de campagne, les salons urbains, les tavernes et les salles de concert ». Une distinction qui ne s’opère pas non plus dans le disque en lui-même, où le caractère populaire et entraînant des pièces sélectionnées est savamment servi. Le talent des instrumentistes et de la mezzo-soprano Ilektra Platiopoulou se déverse avec simplicité, dans une atmosphère plaisante, chaleureuse et bon enfant qui en ferait presque oublier toute la technicité que l’interprétation demande. Le programme en lui-même est bien pensé, alternant avec intelligence les temps festifs auxquels il est impossible de ne pas participer au moins du bout du pied avec d’autres moments plus calmes, doux et relaxants. Ainsi, si la nature même des œuvres présentées tend déjà à éloigner naturellement l’ennui, le risque demeure présent si la structure du programme n’est pas bien pensé. Ce n’est bien sûr pas le cas ici, et l’on savoure chaque piste pour elle-même, mais aussi en fonction de celles qui l’entoure. L’équilibre entre les cinq musiciens (Alix Boivert, Jean-Christophe Morel, Sarah Van Oudenhove, Louis Capeille et Bruno Harlé) permet des exercices de haute voltige où chacun se fait entendre, mais où tous se mélangent. A la fois dissociable et indissocié, chaque individu peut s’exprimer et vivre en se nourrissant et en nourrissant les autres. La musique ainsi servie se déverse et invite Quentin Viannais, Pierre Gallon, Samuel Sérandour et Ilektra Platiopoulou à particper à la magie globale. La flûte de Bruno Harlé prend toute son ampleur dans Fy Gar, avant que le violon d’Alix Boivert ne vienne couler dans le Lament qui suit, rejoint ensuite par ses camarades.

Cinq chansons viennent se mêler au programme, permettant d’entendre la mezzo-soprano déjà citée. La première est « Mable Kelly », en langue gaélique, présente assez tôt dans l’écoute. La voix prend sans encombre les accents locaux de l’air, à la fois chaleureuse et éthérée, tout comme dans « Tears of Scotland ». Point de danse entraînante ici, et davantage un recueillement tout en noblesse, porté par une ligne de chant qui vient happer par ses premières notes basses pour ensuite s’envoler dans les mediums et les aigues. L’atmosphère est plus légère avec « By Moonlight on the green », une chanson écossaise à laquelle Jane Lucas n’hésitait pas à donner une connotation sexuelle lors de ses interprétations. Retour au gaélique avec « Fanny Dillon » dont les accents traditionnels sont particulièrement puissants avec cet élan vocal des premières notes – et le côté ancestral que confère la langue adoptée. La cantatrice lance sa voix, la projette et la ramène, créant un mouvement de va-et-vient ou de vagues qui nous bercent et nous entraînent. Enfin, c’est par une chanson de chasse que se clôt le disque, « Old Towler ». Ce chant aurait été adopté par le 53e régiment d’infanterie légère de l’armée anglaise comme marche militaire et permet une vigueur nouvelle à la voix d’Ilektra Platiopoulou, rejointe pour les derniers mots par semble-t-il le reste de l’ensemble, comme un au revoir commun.

Le livret fourni avec le disque est de son côté loin d’être un accessoire gratuit ou seulement esthétique, comme c’est malheureusement souvent le cas. Ici, Alix Boivert prend le temps d’expliquer l’histoire de chaque partition choisie, après quelques mots sur les recherches effectuées à travers les bibliothèques anglaises, écossaises et irlandaises. Elizabeth Ford donne pour sa part un rapide aperçu de l’histoire de la musique nationale d’Ecosse et d’Irlande au XVIIIe siècle. Un véritable outil didactique pour celles et ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur ce qu'elles ou ils écoutent.

Ce deuxième disque s’avère très enthousiasmant et permet de mêler les univers savant et populaire en un seul, festif, parfait pour passer un très beau moment. Un cadeau idéal au pied du sapin, quels que soient ses goûts musicaux !

Elodie Martinez

 

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