Le 7 avril 2018 se tenait au Théâtre des Champs-Elysées un récital intitulé « Cantates italiennes » qui devait réunir Sabine Devieilhe et Marianne Crebassa autour d’Emmanuelle Haïm, de son Concert d’Astrée et du compositeur Haendel. Las, la mezzo-soprano avait dû quitter l’affiche pour des raisons de santé et s’était vue remplacée par la talentueuse Léa Desandre. Un changement de distribution qui n’avait en rien terni l’éclat d’une soirée mémorable qui s’inscrivait dans une tournée européenne et qui, pour notre plus grand plaisir, a donné lieu à un enregistrement sorti vendredi dernier chez Erato.
La pochette donne le ton en réunissant les trois visages de la cheffe et des deux cantatrices : chacune a en effet une grande importance et brille à sa manière dans cet enregistrement dont le premier disque est entièrement dédié à Aminta e Fillide « Arresta, arresta il passo », inversant l’ordre du récital (où la cantate formait alors la deuxième partie de soirée). On peut s’interroger sur ce choix car l’ordre du récital permettait de créer une attente et d’appuyer le jeu de séduction entre les deux cantatrices, mêlant ainsi les espoirs amoureux à ceux du public / auditeur qui devait patienter jusqu’à la fin pour entendre la rencontre, inéluctable, de ces deux magnifiques voix.
Ici, l’attente est donc moins languissante et aboutit au délicieux mariage de ces deux voix qui, après s’être tant répondues, se fondent enfin l’une dans l’autre, s’unissent à merveille et avec naturel. De même que sur scène, bien que cela soit un peu moins marqué, il est amusant d’entendre la soprano dans le rôle du jeune berger et la mezzo-soprano dans celui de la jeune femme courtisée. Le bonheur du dernier duo explose hors du disque et submerge l’auditeur grâce aux talents réunis de Sabine Devieilhe et Léa Desandre dont on peut aisément louer ici aussi l’excellente diction. La cinquantaine de minutes transportent et fait oublier le temps, passant en un éclair. Difficile alors de ne pas enchaîner derechef avec le deuxième disque.
Après avoir entendu les deux cantatrices ensemble, nous les entendons alors séparément, en commençant par Sabine Devieilhe qui interprète Armida dans Armida abbandonata (Dietro l’orme fugaci), célèbre magicienne abandonnée par Renaud, perdue entre haine et douleur, un déchirement que fait superbement ressortir la partition et dans lequel nous plonge la soprano pour aboutir à l’ultime air, « In tanti affanni, miei », bouleversant. Suit l’interlude musical du Trio Sonata où le Concert d’Astrée brille, non plus en tant qu’accompagnateur mais bien en tant que troisième « personnage » du disque, alliant rythme, intention, musicalité, homogénéité, douceur et énergie. C’est ensuite au tour de La Lucrezia (O Numi eterni) de faire son apparition. Léa Desandre se montre alors une superbe Lucrèce dans cette œuvre qui « a pour sujet la vertueuse réaction de Lucrèce après qu’elle a été violée par le fils du roi Sextus Tarquin ». La musicalité de la ligne de chant, parfaitement maîtrisée, emporte là aussi l’auditeur dans le monde de cette héroïne, ses souffrances et son désir de vengeance, en appelant aux dieux puis au monde souterrain avant de se suicider. La fureur des derniers mots transparaît alors après la douleur et le désarroi.
Le livret donne à lire pour sa part non seulement les paroles et ses traductions, mais aussi un texte signé par Suzanne Aspden expliquant avec efficacité l’histoire des sonates de Haendel en les replaçant dans le contexte de la vie du compositeur, mais aussi en les analysant une à une pour en donner diverses clefs de lectures. Le seul regret que l’on pourrait avoir ici est le nombre restreint de photos, mais ce n’est qu’un détail.
Italian Cantatas est un diamant qui ne souffre d’aucune imperfection, aucun ébrèchement, brillant, devant sa perfection non seulement aux deux grandes interprètes que sont Sabine Devieilhe et Léa Desandre, mais aussi à Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée qui permet un équilibre exceptionnel à l’ensemble, en plus d’une grande homogénéité et d’une justesse que l’on sent être taillée au millimètre. Un très bel enregistrement à offrir, y compris à soi-même !
28 novembre 2018 | Imprimer
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