Chronique d'album : "La Vanità del Mondo", de Philippe Jaroussky

Xl_vanita © DR

En novembre, Philippe Jaroussky sortait un nouveau disque chez Erato, intitulé La Vanità del Mondo, du nom d’un oratorio de Pietro Torri. « Vanité », difficile de ne pas penser au sens commun du terme, mais aussi à son sens plus baroque, à ses peintures, symbolisant le reflet du vide de l’existence terrestre. La vanité était alors étroitement liée au memento mori, rappelant l’inévitable fin qui nous attend tous. Et l’oratorio, avec ses références le plus souvent sacrées et souvent commandé par les ecclésiastiques de l'époque, y fait aussi écho.

L’oratorio, c’est justement le sujet de ce nouveau disque, et « le programme présenté sur cet album offre un panorama assez exemplaire de l’oratorio italien de la fin du XVIIe siècle et de la première moitié du XVIIIe. Les centres romains, napolitains, vénitiens, lombards et étrangers y sont dignement représentés, à travers de nombreuses pages inédites, et témoignent de l’extraordinaire diffusion du genre d’ascendance romaine ». Le contre-ténor, qui est également chef ici, explique par ailleurs :

« Après déjà vingt ans d’enregistrements, j’essaie à présent de penser chaque nouvel album comme un projet qui complèterait ce que j’ai déjà pu chanter. Or, si j’ai beaucoup gravé d’airs d’opéras baroques et de motets, je n’avais pas encore abordé le genre de l’oratorio italien, à part pour ma première collaboration avec Warner, chantant le sensible fils de Gérard Lesne dans Sedecia, re di Gerusalemme d’Alessandro Scarlatti. C’est pourtant un genre que j’affectionne tout particulièrement, car je pense que beaucoup de compositeurs de cette époque donnent souvent le meilleur d’eux-mêmes lorsqu’ils doivent mettre en musique par exemple les grandes histoires sacrées de l’Ancien Testament. »

Incarner une divinité demande une certaine spiritualité, caractère qui sied parfaitement à la voix de Philippe Jaroussky, souvent qualifiée « d’angélique ». Le timbre semble être un merveilleux vecteur pour les voies célestes, ce que montre parfaitement ce disque, et ce dès le premier air, « Perché più franco » (Abramo, de Pietro Torri, représentée à Munich au printemps 1731), présenté au disque pour la première fois, et dans lequel l’artiste incarne un Isaac prêt au sacrifice auquel le condamne son père. Toutefois, l’air « Dormi, o fulmine di guerra », « longue mélopée lancinante » extraite de La Giuditta de Scarlatti est indubitablement l’un des moments les plus marquants de l’écoute. Cette berceuse est un apaisement de l’âme dont on souhaiterait ne jamais s’éveiller. La mélodie est un matelas soyeux sur lequel on se repose, lové de la duveteuse couette qu’est la voix douce et caressante de Philippe Jaroussky. Le contraste avec le récitatif qui suit, « Odi, Mosè mio fido » (Dio sul Sinai, de Fortunato Chelleri) est alors d’autant plus saisissant par l’instrumentation qui nous sort brusquement de ce doux moment. De son côté, « Bacio l’ombre e le catene » (La decoll azione di San Giovanni Battista, d’Antonio Maria Bononcini), bien que langoureux, touche grâce à l’affliction et la souffrance qui s’en dégage. Quant à l’oratorio de Pietro Torri qui donne son titre au disque, il est représenté par l’air « Esiliatevi pene funeste » que prononce Piacere, et offre un moment de joie bienvenu. Un frémissement musical qui suit l’unique sinfonia du programme, signée de Bononcini. Celle-ci permet d’apprécier tout le talent de l’ensemble Ataserse, impeccable aussi bien seul qu’en accompagnement sous la direction de Philippe Jaroussky, dans une belle homogénéité et un équilibre (baroque) de tous les instants. Toujours présent sans jamais prendre le pas sur la voix, multipliant les nuances et les couleurs, il sait tout aussi bien s’affirmer que s’effacer selon les besoins de la partition, ou encore prendre forme de larmoiement dans « Forz’è pur nel proprio sangue » d’Il faraone somm erso (Nicola Fago), l’un des nombreux titres présentés ici en première mondiale.

Difficile également de passer à côté du célébrissime « Lascia la spina, cogli la rosa » d’Il trionfo del Tempo e del Disinganno, qui trouve indubitablement sa place dans ce recueil. Toutefois, ce n’est pas cet air connu de tous qui vient clore le disque, mais « morto il mio Gesù » (Morte e sepoltura di Christo, d’Antonio Caldara) qui est ici enregistré en studio pour la première fois, bouclant la boucle puisque, rappelons-le, c’est par un premier enregistrement mondial que l’écoute s’était ouverte. L'écoute se termine par ailleurs sur l'air le plus long du programme, faisant ainsi en sorte que les adieux ne soient pas trop douloureux, malgré cet ultime message de Marie Jacobé :

« Il est mort, mon Jésus,
Qui me consolera ?
Dites-le-moi par pitié,
Au moins vous, les étoiles.
Je ne peux vivre maintenant
Que je suis privée de mon soleil.
Ah ! quand reverrai-je donc
La splendeur de son regard ? »

Chacun devrait ainsi trouver son bonheur dans ce nouveau disque : tant les inconditionnels de Philippe Jaroussky qui retrouveront ici le contre-ténor dans l’exercice du disque qu’il maîtrise parfaitement, que les amateurs de baroque ou d’oratorio, néophytes ou connaisseurs, puisque ces derniers trouveront bien des titres encore jamais gravés au disque.

Elodie Martinez

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