Chronique d’album : Orfeo ed Euridice chez Erato

Xl_orfeo_erato © DR

La semaine dernière, Erato sortait un nouvel enregistrement d’Orfeo ed Euridice qui accompagne les différentes dates du même opéra actuellement mis en scène par Robert Carsen au Théâtre des Champs-Elysées (lire notre chronique à ce sujet), puis à Versailles le mois prochain. Philippe Jaroussky tient sur le disque comme à la scène le rôle d’Orfeo et Emőke Baráth celui d’Amour, mais en lieu et place de Patricia Petibon, c’est Amanda Forsythe qui endosse le rôle d’Euridice (que nous avions entendue dans le rôle d’Amour à Londres en 2015).

Toutefois, s’il s’agit de la même œuvre, la version napolitienne de l’enregistrement diffère de celle mise en scène, qui est la version viennoise qui date de 1762. En effet, Erato fait le choix de faire découvrir une version de l'oeuvre inédite au disque, celle de Naples datant de 1774. A l’époque, le rôle d’Orfeo était tenu par Gasparo Pacchiarotti, le castrat le plus célèbre de la fin du XVIIIe siècle et la partition différait de la version viennoise de 1762 sur bien des points, la rapprochant davantage de la version remaniée par le compositeur en 1769 pour Parme où le héro fut interprété par le soprane masculin Vito Giuseppe Millico. Ainsi, l’écoute de la version napolitaine de l’œuvre « est une expérience tout à fait passionnante : si la structure d’ensemble est la même que celle de la fameuse version de 1762, on y décèle néanmoins une grande quantité de modifications plus ou moins importantes concernant les notes, les tonalités, l’instrumentation, les tempos et  les dynamiques (ces dernières souvent réorientées vers une accentuation des contrastes). L’effet qui en résulte est étonnant : l’ouvrage est à la fois entièrement reconnaissable et pourtant différent de sa forme habituelle » (selon le livret du disque). Les différences les plus notables sont probablement les deux numéros musicaux écrits spécialement pour cette version : le premier est une nouvelle version de « Vieni, appaga il tuo consorte », qui allonge le duo entre Orfeo et Euridice, tandis que le second est un air de substitution au célèbre « Che fiero tormento », remplacé ici par « Tu sospiri… ti confondi… » où Euridice est partagée entre la peur d’avoir fait quelque chose de mal et son indignation face à la cruauté apparente d’Orfeo. Ainsi, les deux passages cruciaux que sont le duo des amants et le grand air de la prima donna sont totalement remaniés, rendant cette version de 1774 particulièrement intéressante.

De même que sur la scène, Philippe Jaroussky offre ici un Orfeo remarquable, maîtrisant le personnage de bout en bout, passant par ses différents affects dans une ligne de chant claire où la mélodie et la force de la partition trouvent pleinement leur place. Désolation, fureur, désespoir, élan héroïque, tout est incarné et ressenti à travers l’enregistrement qui offre au contre-ténor une partition taillée pour son timbre de voix, tandis que l’auditeur ne pourra que se délecter de l’air « Che farò senza Euridice » toujours très attendu. De son côté, Emőke Baráth laisse entendre un Amour parfaitement maîtrisé à la prononciation excellente, faisant regretter que la partition du personnage soit si courte. Quant à l’Euridice d’Amanda Forsythe, elle apparaît comme une véritable protagoniste malgré la brièveté de son rôle, grâce à la consistance que lui confère la soprano. Là aussi, l’excellence de la prononciation est notable.

Outre les solistes, la partition met aussi en avant le chœur, ici le sublime Coro della Radiotelevisione svizzera qui offre puissance et intensité à ces Ombres inquiétantes, vaincues, accompagnatrices, ou encore ces amis d’Orfeo l'accompagnant dans sa douleur et ses lamentations. Saluons également dans cette version inédite le fabuleux travail de Diego Fasolis à la tête de l’ensemble I Barocchisti : on entend parfaitement les modifications évoquées plus haut, les nuances plus ou moins délicates étant savamment données à entendre, accompagnant et contrebalançant les voix dans cette très belle redécouverte d’une œuvre que l’on pourrait croire, à tort, déjà parfaitement connaître.

Elodie Martinez

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