Chronique d'album : "Passion", de Véronique Gens

Xl_passion_v_ronique_gens © DR

Le 27 août, Véronique Gens retournait à ses premières amours baroques avec la sortie de son dernier disque chez Alpha Classics, Passion, accompagnée par l’ensemble Les Surprises sous la direction de Louis-Noël Bestion de Camboulas, ainsi que par les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. De quoi réjouir les « baroqueux » et les adeptes de la soprano dont la voix n’a aucun mal à séduire sur ce terrain musical déjà conquis depuis longtemps.

Comme en amour, rien n’est jamais acquis. Naturellement, la voix et la technique de la soprano ont évolué, de même que l’interprète, mais l’union avec l’univers baroque demeure indéfectible. 
À l’origine de ce disque, la rencontre entre Véronique Gens et l’ensemble Les Surprises au festival d'Ambronay en 2018 lors d’un concert autour de suites de danses et d’airs extraits d’opéras de Rameau, Rebel, Campra, ou encore Lully. L’alchimie opère et l’envie de se retrouver autour de ces pages musicales qu’ils aiment tant nait immédiatement. Le programme du disque est ainsi conçu « autour de Jean-Baptiste Lully, ses élèves et ses contemporains, l’occasion de jouer quelques pages connues mais surtout de pouvoir défendre du répertoire inédit (telles les œuvres de Collasse et Desmarets) ». Le disque prend ainsi la forme d’un opéra imaginaire, « avec trois personnages dialoguant : Véronique (Gens), l’ensemble Les Surprises et les Chantres du CMB ». L’œuvre ici présentée laisse entendre des scènes emblématiques tirées des répertoires de « la » Saint-Christophe et « la » Le Rochois, deux « actrices charismatiques, nobles et altières » qui ont brillé au XVIIe siècle dans ces rôles dramatiques où la voix doit pouvoir être à la fois sombre et éclatante, mais où la voix seule ne suffit pas et doit faire corps avec un talent théâtral assez puissant pour incarner ces figures féminines. Souvent, ces femmes puissantes aiment mais ne sont pas aimées en retour. De cette passion non partagée en naissent d’autres, plus noires, comme la jalousie, la vengeance, la rage, la haine, souvent amenées par d’amères plaintes, parfois déchirantes. C’est ici le fil conducteur du programme qui nous plonge dans ces passions douloureuses et/ou furieuses.

Le premier acte est celui de « l’appel des enfers », qui s’ouvre sur l’air d’Arcabonne, « Toi qui dans ce tombeau » (Amadis). Celui-ci ne laisse planer aucun doute, non seulement sur le ton du disque, sombre et majestueux, mais également sur la tragédienne qu’est Véronique Gens. La déclamation est somptueuse, les élans sont maîtrisés, la voix sélève dans les hauteurs adéquates mais descend aussi dans les profondeurs plus noires de la fureur, le tout dans un caractère implacable. Cette ligne de conduite noble et altière marque par ailleurs tout le disque, parfois teintée d’une certaine divinité comme lorsqu’elle chante Junon (Achille et Polyxène, de Pascal Colasse).
Suivra le deuxième acte, « Malheureuse mère », avec notamment la Circé de Desmarets ou la Proserpine de Lully. Cette dernière est l’occasion pour la soprano de délivrer un déchirant « O malheureuse mère », laissant couler sa voix tels les sanglots de l’héroïne.
Le troisième acte est intitulé « Cruel amour », avec Atys et Armide, puis vient l’acte « Tranquille sommeil, funeste mort », et pour finir « Médée furieuse » (qui rappelle notamment le titre d’un précédent disque de Stéphanie d’Oustrac) avec la Médée de Charpentier. C’est donc la célèbre colchidienne qui a ici le dernier mot. Les deux airs choisis sont la plainte « Quel prix de mon amour », que Véronique Gens rend quelque peu solennel, et le déchaînement de sa colère dans « Noires filles du Styx ». Le premier rappelle l’injustice qui frappe l’héroïne, elle qui a tout sacrifié par amour et qui, en retour, voit les serments d’amour brisés et l’exil, tandis que le second montre les conséquences du constat de l’air précédent, à savoir la fureur de Médée et l’enfer qui est invité à se répandre. On imagine aisément le regard enflammé, et la passion dévorante de la soprano par son interprétation, le chant descendant aux enfers pour les chercher et les ramener à la surface. Un choix de fin d’opéra qui, de même que l’œuvre de Charpentier, a des airs d’exemplum, mettant en garde contre la vengeance des femmes puissantes trahies.

A la tête des Surprises, Louis-Noël Bestion de Camboulas accompagne avec brio la voix de Véronique Gens et offre de belles couleurs aux pages sélectionnées dans ce disque. Les pupitres s’équilibrent, se répondent, trahissent les émois, appuient la fureur, envahissent l’écoute quand ils peuvent prendre toute la place, puis se retirent pour laisser entendre la soprano. Là aussi, tout est parfaitement maîtrisé, et le véritable vainqueur de toutes ces passions demeure la musique. Quant aux Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, ils sont amplement à la hauteur de l’exercice et offrent d’impeccables réponses aux héroïnes, le tout dans une superbe déclamation qui, ajoutée à celle de Véronique Gens, rend presque superflu le livret fourni.

Si, ainsi que l’écrit Louis-Noël Bestion de Camboulas dans les premiers mots dudit livret, « C’est une belle histoire que nous souhaitons écrire avec Véronique et qui, n’en étant qu’à son début, ne demande qu’à avoir une belle suite... ! ». C'est alors impatiemment que nous l'attendons !

Elodie Martinez

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