Bien que ce rendez-vous ne marque pas la fin officiel du Festival d'Ambronay – les festivités se poursuivant encore le lendemain jusqu’à « ¡Una Fiesta Española! » avec l’ensemble Cantoría – il la marquait pour nous et demeure le dernier concert avec un soliste lyrique. Et quel soliste ! Car ce n’est ni plus ni moins que Philippe Jaroussky, accompagné par L’Arpeggiata, qui a su ravir l’abbaye le temps de cette soirée aux allures de bouquet final.
Il faut dire que le programme proposé est particulièrement jouissif, vivant, animé et coloré, tout en se montrant loin d’une monotonie de festivité excessive : certains airs sont plus lents, presque plaintifs. Les airs et extraits instrumentaux ont en commun de parler d’amour, sous différentes de ses formes. Le temps de cette soirée, « Philippe Jaroussky et l’Arpeggiata revisitent pour nous l’acmé de cette forme de chant d’amour en France et en Italie, avec un détour par l’Angleterre. Christina Pluhar a choisi de faire alterner ces airs avec des pièces instrumentales afin de nous donner une idée des différentes formes d’inspiration des compositeurs de l’époque, au service d’un univers musical en pleine mutation ». Un programme qui fait du bien, dans lequel la plupart des airs s’enchaînent sans pause intempestive, créant une belle homogénéité et un ensemble cohérent.
Tout débute avec « Nos esprits libres et contents » d’Antoine Boësset, un air entraînant suivi dans sa continuité par « El baxel esta en la playa » de Gabriel Bataille. Nous jonglons avec les langues, mais la ligne de chant de Philippe Jaroussky nous guide avec son dynamisme et son rythme qui marque l’air autant qu’un instrument à cordes. Lorsqu’arrive Monteverdi, la voix s’élève particulièrement, comme heureuse et légère de retrouver un vieil ami bien connu. Le contre-ténor s’avère particulièrement à l’aise – même s’il l’est tout au long du programme – dans ce « Si dolce è’l tormento », et l’on se régale de l’air « Ohime, ch’io cado ». Il joue alors avec sa voix et nous offre encore un excellent moment dans cette soirée. Quant à l’Oblivion suave (toujours de Monteverdi), on le savoure comme un bonbon sucré qui fond avec délicatesse sous la langue. C’est finalement Music for a while de Purcell qui clôt en toute beauté la soirée : « La musique pour un moment trompera tous tes soucis. Sans comprendre comment tes peines ont été soulagées (...) » Un très bon résumé de cette soirée.
Philippe Jaroussky et L'Arpeggiata, © Bertrand Pichène
Si la voix s’avère expressive, légère, claire et solide, on prend aussi plaisir à voir Philippe Jaroussky en plus de l’entendre : quelques pas façon flamenco pour « Yo soy la locura », des allers-retours depuis sa chaise pour laisser la scène aux musiciens et les mettre en avant, revenir afin d’inviter le public à taper des mains et le diriger dans cet exercice (pour Canario de Lorenzo Allegri), etc. On se réjouit d’autant plus lorsqu’arrivent les deux bis. Le premier air fait naître quelques rires amusés lorsque résonnent les premiers mots de « Bésame mucho », cette chanson populaire de 1932. D’abord tourné vers la cheffe Christina Pluhar avec un air séducteur, la surprise est générale lorsque la violiste cubaine enchaîne à son tour d’une voix chaude, envoûtante, suave et profonde dans laquelle transpire et suinte une atmosphère tropicale. Si elle ne passait pas inaperçue grâce à son look (dont notamment sa chevelure bleutée), sa voix finit de surprendre l’auditoire. Philippe Jaroussky vient alors à ses côtés, avant de jeter cette fois-ci son dévolu sur Doron Sherwin (cornet à bouquin) puis d’être à nouveau happé par la voix de la musicienne. Ils offrent ainsi un magnifique duo totalement surprenant.
La triomphe est total, et le public ne cesse pas ses applaudissements, accueillant chaleureusement chacun des musiciens qui viennent saluer un à un depuis la coulisse avant de reprendre place à leur pupitre. Le contre-ténor prend enfin la parole pour la première fois afin d’exprimer ses remerciements, mais aussi pour introduire le second bis. Il explique que Christina (Pluhar) a fait des recherches dans le répertoire français et qu’elle a trouvé « un air de cour inédit » qu’ils souhaitent donc nous présenter. Les premières notes sont jouées, que Philippe Jaroussky ornemente de sa voix avant de prononcer les premiers mots : « déshabillez-moi ». Le public rit alors, reconnaissant la célèbre chanson interprétée à l’origine par Juliette Gréco en 1967 !
N’oublions pas l’ensemble de L’Arpeggiata et ses formidables musiciens sous la direction de Christina Pluhar (également au théorbe). Les neuf musiciens font virevolter la musique, quel que soit ses horizons, faisant miroiter ses couleurs avec une énergie et une bonne humeur communicative qui n’en oublie pas pour autant une rigueur d’exécution enrichie par une liberté talentueuse. Le programme met en valeur la voix, l’ensemble, mais aussi chaque musicien à travers un extrait au cours de la soirée, permettant d’apprécier le tout mais aussi les individus qui le composent.
Ce concert « Passacalle de la Follie » s’avère ainsi être un bonbon pétillant et savoureux qui conclue en apothéose notre série sur le festival d’Ambronay. Un petit plaisir non coupable que gourmets et gourmands n’ont pu qu’apprécier et qu’on aurait bien aimé sans fin.
Elodie Martinez
(Ambronay, le 5 octobre)
Passacalle de la Follie avec Philippe Jaroussky et L'Arpeggiata à Ambronay le 5 octobre,
également à l'Opéra royal de Versailles le 13 octobre.
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