À Lyon, on se souvient encore du départ des Grands Concerts de la Chapelle de la Trinité et de sa réattribution au profit du projet « La Trinité » mené par les Concerts de l’Hostel Dieu et Superspective. Après plusieurs mois d’attente, samedi marquait l’ouverture officielle de cette « nouvelle scène de musiques baroques et irrégulières » avec un concert intitulé « Dolce Follia » porté, naturellement, par le Concert de l’Hostel Dieu accompagné de la soprano canadienne Heather Newhouse.
La longue queue sur le trottoir pour accéder à la salle laisse deviner l’engouement du public ainsi que l’attrait de ce concert d’ouverture qui affichait complet. Ainsi que l’on s’en doutait, celui-ci a été précédé d’un bref discours rappelant que le mandat pour cette salle lyonnaise prisée était de cinq ans, remerciant évidemment la Métropole et la Ville, et rappelant au passage que la follia est une danse venant du Portugal, plutôt paysanne, joyeuse et festive, qui a su se développer et se faire une place surtout au XVIIIe siècle (avec par exemple Vivaldi). Le programme laissait aussi entendre des musiques à basse obstinée, comme la tarentelle.
« Dolce Follia », La Trinité (Lyon, 2024) © William Sundfor
Ceci étant dit, une « première partie » introduisait la soirée sans qu’elle n’ait été présentée, ni par le discours, ni dans le programme. Nous avons donc entendu un groupe de percussionnistes issu par déduction de l’Institut des musiques persanes de Lyon (mentionné dans le programme) pour une entrée en matière intéressante menée plus particulièrement par deux ou trois musiciens – la disposition ne permet pas d’être catégorique sur ce nombre – suivis par le reste des participants. Il est dommage que cette entrée en matière n’ait pas été mieux présentée car sans plus d’informations, on s’interroge et l’on est surpris, mais l'entrée en matière s'avère frustrante. La découverte demeure cependant intéressante.
Autre point problématique de cette réouverture : la nouvelle disposition des lieux, avec une scène centrale. Est-elle définitive ou évoluera-t-elle selon les concerts ? Nous l’ignorons encore, mais la configuration n’est pas forcément la plus idéale pour un concert où la voix a sa place : lorsque le public est dos aux chanteurs, il ne bénéficie pas de leur projection et l’acoustique du lieu ne renvoie pas non plus la voix dans la direction opposée. Si l’on voit parfois une petite partie du public derrière la scène dans certains monuments – comme par exemple dans l’abbaye d’Ambronay – il s’agit généralement de places de catégorie inférieure, et d’un nombre de rangs bien moins importants que celui devant la scène. Ici, la catégorie était la même et l’estrade paraissait centrale. On peut penser qu’un public ayant payé pour une première catégorie espère entendre davantage que la moitié du programme lyrique donné... Bien que les artistes tentent de compenser cette maladresse en tournant et en s’adressant aux différents cotés au cours des airs, cela reste dommage et un point à repenser dans le cadre d’un prochain rendez-vous vocal.
Le regret est d’autant plus grand que le programme est effectivement un beau rendez-vous festif, porté par Heather Newhouse ainsi que sa belle voix de soprano chaude et légère. Malgré les années, nous reconnaissons tout de suite cette cantatrice issue du Studio de l’Opéra de Lyon, où nous l’avions découverte dans La Flûte enchantée en 2013 ainsi que dans The Turn of the Screw en 2014. Si la première partie de l’air « Su la cetra amorosa » ne nous parvient pas – puisque nous étions alors dans son dos – nous goutons avec plaisir à cette ligne de chant sucrée lorsque la soprano se tourne ensuite vers nous. Tout au long de la soirée, tout comme la chaleur des aigues, les mediums et les graves ambrés reflètent le soleil des pays méditerranéens auxquels nous ramène le programme. Pour « Yo soy la locura », elle prend la peine de déclamer la traduction française des paroles d’un côté puis de l’autre avant de se lancer dans ce bel air de cour et d’enchaîner avec « Quando voglio » (extrait de Cesare in Egitto de Sartorio) dans une belle énergie communicative. En peu de notes, l’artiste parvient à nous emmener avec elle dans un univers personnel qui donne envie de venir danser avec elle, en toute simplicité.
« Dolce Follia », La Trinité (Lyon, 2024) © William Sundfor
Arrive Vivaldi et son air « Sento in seno » (extrait de Tieteberga). La voix de Heather Newhouse nous parvient alors du balcon, d’où nous la percevons finalement mieux que sur scène (dos à nous), ce qui nous permet d’enfin apprécier un air complet. Il en est de même lors de « L’Eraclito amoroso » (de Barbara Strozzi) qu’elle interprète sur scène, mais sur un côté latéral, offrant ainsi une projection plus large – sauf peut-être pour les deux rangées derrière elle. On notera également « La Carpinese », une tarentelle anonyme fort sympathique que nous ne connaissions pas !
Entre ces différents airs, et sous la direction de Franck-Emmanuel Comte – également au clavecin – les musiciens du Concert de l’Hostel Dieu ont pu interpréter quelques parties instrumentales, comme des tarentelles de Santiago de Murcia dans lesquelles une ou deux notes ont paru quelque peu suspectes. Les deux violonistes (Reynier Guerrero et Florian Verhaegen) offrent des enchaînements et des doigtés endiablés, mais l’un d’eux a tendance à ponctuellement laisser courir son archet trop près du manche, laissant entendre un son manquant alors de clarté. Le violoncelle d’Aude Walker-Viry est pour sa part joliment mis en avant dans la Sonata RV 44 n°7 pour violoncelle de Vivaldi, avec un son aérien.
La fin du programme arrive avec « Cachua Serranita » (extrait du Codex Martines Compañon - Trujillo du Pérou). Les percussions de David Bruley brillent particulièrement ici, introduisant longuement cette conclusion festive. L’ensemble des artistes (musiciens, y compris les percussionnistes du début de soirée, cantatrice et chef) arrive du fond de la salle munis chacun d’un instrument et entoure la scène. Ils se retournent vers cette dernière pour suivre les pas du danseur Joël Luzolo qui tourne sur lui-même, et certains y retournent un à un : un violon, puis deux, puis la contrebasse, la guitare, le violoncelle, le clavecin et enfin la chanteuse. Tous entonnent « lalala » lors du refrain, repris ensuite par le public qui accompagne également en tapant des mains. Un beau moment de communion, presque « entre amis ».
« Dolce Follia », La Trinité (Lyon, 2024) © William Sundfor
L’atmosphère bon enfant fait place à deux bis : « La Cicerenella » (tarentelle en dialecte napolitain) avec un débit extrêmement rapide et « Bird’s lament » de Moundog dans un arrangement maison qui ferait presque penser à une improvisation, une fin de soirée entre artistes, un verre à la main.
Finalement, bien que tout ne soit pas parfait et que certaines choses méritent certainement d'être revues – notamment la disposition scénique – cette ouverture de La Trinité invite à une convivialité chaleureuse et amicale qui devrait donner le ton pour cette première saison.
Elodie Martinez
(Lyon, le 30 novembre 2024)
Commentaires