Le Gstaad New Year Music Festival s'ouvrait vendredi avec un récital de Rosa Feola dont nous n'avons eu que de bons échos. Le lendemain, c'était un autre récital qui poursuivait ce début de festival dans l'église de Saanen surplombant le village recouvert de neige digne des plus belles cartes postales, en compagnie cette fois d’Elīna Garanča et de Jonathan Tetelman. Ainsi que l'annonçait la princesse Caroline Murat en ouverture de soirée, nul besoin de souhaiter une bon concert au public : elle savait qu'il serait bon. Et elle avait amplement raison !
Il faut dire qu'en réunissant deux artistes lyriques d'une telle envergure, il était impossible de se tromper, quel que soit le programme. Celui de ce samedi soir, intitulé « Versimo Highlights », était axé autour de l’opéra italien avec Puccini, Verdi, Bellini et Mascagni. Du moins pour ses deux premières parties, la troisième étant plus légère réunissant des extraits allemands empruntés à Johann Strauss II et Franz Lehar.
Ouvrant la soirée, le pianiste Frédéric Chaslin nous informe avoir ajouté une pièce avant le programme initial. L'exécution faite de mémoire d'un prélude de Rachmaninov ne nous a malheureusement pas convaincu : le son est sec, assez plat, sans beaucoup de nuance, et ne présage rien de bon pour le reste de la soirée. Il a toutefois le mérite de faire davantage apprécier l’Intermezzo de Manon Lescaut (ouvrant le programme annoncé). Là aussi, le son demeure malheureusement assez plat et la partition semble plus exécutée qu'habitée.
Après une arrivée prématurée qui l'a obligée à attendre à l'abri des regards le temps de l’Intermezzo, Elīna Garanča ouvrait le bal lyrique avec Lady Macbeth (du Macbeth. de Verdi) et « La luce langue ». A peine ouvre-t-elle la bouche que les premières notes rappellent derechef pourquoi la mezzo-soprano lettone a atteint une telle renommée. Les graves infernales et les élans généreux se mêlent à une savoureuse symphonie de couleurs miroitantes dans des profondeurs rarement explorées, le tout saupoudré d’une incarnation saisissante.
Vient ensuite Jonathan Tetelman qui entame « Quando le sere al placido » (Luisa Miller) et envoie moult décibels d'entrée de jeu. C'est un vrai feu d'artifice qui explose dans cette petite église Suisse – par ailleurs magnifique, entre pierre et bois, pourvu d’un superbe orgue. Le ténor fait montre d'une voix puissante qui a du corps et des couleurs chaudes.
Les deux artistes se retrouvent ensuite pour un premier duo extrait de Norma, « Va crudele... vieni in Roma ». Tous deux incarnent Pollione et Adalgisa de façon spectaculaire pour un concert. L’héroïne s'avère déchirante, bouleversante, et ce très beau duo nous transporte presque directement à l'opéra en transmettant des émotions si fortes.
Jonathan Tetelman et Elīna Garanča © Patricia Dietzi/Gstaad New Year Music Festival
Place ensuite à Pietro Mascagni et Cavalleria Rusticana dans un schéma assez similaire : d'abord le piano de Frédéric Chaslin, puis la voix solaire de Jonathan Tetelman, suivie d’Elīna Garanča, plus ensorcelante encore, dont la voix semblerait presque posséder une personnalité à part entière tant elle est charnue, avant un duo à l'intensité toujours aussi présente. La palette déployée est belle, offrant nuances, modulations mais aussi une puissance tant vocale qu'interprétative. L'un comme l'autre sont entièrement habités par leurs personnages.
Arrive la troisième et dernière partie de la soirée, qui étonne quelque peu puisque après « le sang et les larmes », nous basculons dans une légèreté allemande avec tout d'abord l'Ouverture de La Chauve-Souris de Strauss retranscrite pour piano. Si le jeu de Frédéric Chaslin paraît plus nuancé, il s'agit ici d'une semi-improvisation marquée par quelques faiblesses (des ralentissements étranges, des « couacs » comme si le pianiste était bloqué durant un bref instant...). Néanmoins, dans cette période de Fêtes, on ne peut qu'apprécier ce clin d'œil Straussien ! D'autant plus qu'il est suivi de « Hör’ich Zimbalklänge » (de Zigeunerliebe) servi avec truculence par la mezzo-soprano qui emporte le public dans son rythme tzigane, avec un soin apporté à la diction. Le ténor, pour sa part, prévient que la langue allemande n'est pas forcément sa tasse de thé, et il est vrai qu'il subsiste une marge de progression concernant la prononciation. Ce n'est toutefois pas ce que l'on retient de son « Freunde, das Leben ist lebenswert » (Giuditta), mais plutôt ses élans toujours magistraux. Quant au duo « Lippen schweigen » (La Veuve Joyeuse), il s’avère à la fois d’une grande beauté avec ces voix qui se marient à la perfection et d’un joyeux amusement avec leur jeu, comme le clin d’œil appuyé de la cantatrice ou encore leur valse durant laquelle elle ne boude pas son plaisir.
Jonathan Tetelman, Frédéric Chaslin et Elīna Garanča © Patricia Dietzi/Gstaad New Year Music Festival
Le public s'avère à raison très enthousiaste et obtient rapidement un bis fort à propos : « Libiamo ne' lieti calici ». Emportée par la gaieté de la soirée, Elīna Garanča en oublie de chanter un couplet qu'elle rattrape en cours de route avec sourire et sous l’amusement de l’auditoire.
Avec ce concert, le Gstaad New Year Music Festival place haut la barre de son édition 2024/25, qui se révèle par ailleurs prometteuse de bout en bout – avec notamment la venue de Sonya Yoncheva, Lise Davidsen, Freddie de Tommaso ou Golda Schultz pour ne citer qu'eux. Les voix et la complicité d’Elīna Garanča et de Jonathan Tetelman ont su faire naître une magie supplémentaire à celle des lieux pourtant déjà grande. Un moment rare et précieux comme seul ce festival semble pouvoir en créer, parsemé de neige et de fêtes. Une expérience qu’on ne peut qu’encourager à vivre et à revivre !
Elodie Martinez
(Saanen, le 28 décembre 2024)
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