Falstaff mijoté à la bonne humeur en ouverture de saison à l'Opéra de Lyon

Xl_falstaff_g__jeanlouisfernandez045 © Jean-Louis Fernandez

Pour sa première œuvre mise en scène donnée devant une salle sans jauge réduite depuis la début de la crise sanitaire, l’Opéra national de Lyon propose le Falstaff imaginé par Barrie Kosky en coproduction avec le Festival d’Aix-en-Provence où il a été proposé cet été (notre collègue Alain Duault en rendait alors compte). Après de longs mois d’attente, le public a répondu présent en ce soir de Première, tout comme le nouveau directeur de la maison Richard Brunel, qui vient de prendre ses fonctions et a prononcé quelques mots rapides sur scène avant le lever de rideau. A n’en pas douter, l’Opéra de Lyon réussit ici une reprise enthousiaste et enthousiasmante, dont on attend de voir la suite.


Falstaff, Opéra de Lyon ; © Jean-Louis Fernandez

Christopher Purves (Falstaff) et Carmen Giannattasio (Alice) ;
© Jean-Louis Fernandez

Ainsi que le relevait Alain Duault dans sa chronique, la mise en scène de Barrie Kosky est une très belle réussite, qui fait honneur au comique de l’œuvre et du personnage. On s’amuse du début à la fin, grâce au travail minutieux de la direction d’acteurs et à une dose de gags qui relèvent la dégustation du spectacle. Car le spectacle se déguste : le rideau se lève sur un Falstaff aux fourneaux, qui découpe, cuisine, flambe ses ingrédient, au point que l’odeur des aliments vient nous titiller les narines jusqu'à notre siège au parterre. Si le décors un peu kitsch et miteux nous faisait craindre le pire, les peurs s'évaporent vite, et il sert finalement bien la situation de Falstaff, fauché et désuet, animé par un goût de la bonne chair/chère comme s’il était encore svelte et charmant. Pour autant, ainsi que le souligne le metteur en scène dans la note d'intention, pour qu’un Falstaff soit réussi il doit impérativement nous être sympathique, attachant, et pas seulement ridicule. A la fin, « tout le monde rie : ils rient avec lui, pas de lui ou contre lui ». Et c’est dans ce rire sans méchanceté que la complicité naît particulièrement avec le public.

Falstaff n’est pas une sorte d’ogre, énorme et sale, mais un homme qui remplit sa vie de peur de la voir vide : par la nourriture, par les femmes, par la boisson… tout ce qui lui permet aussi de créer un lien avec autrui pour ne pas être seul. Il ne s’empiffre pas, malgré un appétit assumé : il cuisine, hume les ingrédients, les mitone… L’image de Falstaff est ici dépoussiérée et humanisée, et fonctionne d’autant mieux que les nombreux gags suscitent le rire : en début de soirée, le héros qui se retourne et dévoile par exemple qu’il ne porte aucun bas sous son tablier dans une note burlesque qui évite la vulgarité gratuite ; le jeu des perruques qui s’enlèvent toute la soirée ; le verre immense qu’il se sert face au petit vert à digestif qu’il verse à Fontaine ; son costume d’apparat fait dans le même tissu (ou du moins les mêmes motifs) que la tapisserie ; les courses poursuites ; le jeu des gâteaux amenés devant le lit d’Alice quand elle veut lui tendre son piège ; son costume final avec sa perruque sertie non pas de cornes mais de deux baguettes... L’ajout de la lecture (très sensuelle) de recettes durant les changements de plateau par des voix féminine et masculine finit de lier chair et chère.

Autre point appréciable de la mise en scène de Barrie Kosky : la façon dont il parvient à souligner la dimension « joyeuses commères » avec ce groupe de femmes très soudées, dans une solidarité féminine à toute épreuve et une complicité jouissive. Avec un noyau féminin si solide, on savoure d’autant plus les manigances et les malices qui nous sont présentées.


Stéphane Degout (Ford) ; © Jean-Louis Fernandez

Toutefois, la mise en scène brille aussi par le talent des interprètes, à commencer par Christopher Purves dans le rôle-titre. Excellent comédien, il offre au personnage une bonhomie et un naturel fort sympathiques. Ses talents comiques ne font aucun doute, et il parvient à donner une consistance drôle à son personnage sans être caricatural. Il est un être de mouvements perpétuels, comme si l'immobilisme lui faisait peur, au même titre que la mort. Car si les notes plus sérieuses de Falstaff ne sont pas les plus présentes, elles ne sont pas pour autant absentes. Vocalement, la voix est toute aussi pleine que le ventre du personnage et coule comme le miel d’acacia, à la fois sombre et sucré. Le timbre est puissant et s’allie parfaitement au dynamisme du jeu. Face à lui, Stéphane Degout – véritable lyonnais aimant la cuisine, il joue ici à domicile – est un Ford à la palette plus noble et chocolatée. À la droiture théâtrale se mêle celle de la voix, toujours solide, dans une ligne de chant et un souffle qui font mouche. Décidément aussi bon tragédien que comédien, il prête à rire avec noblesse.


Giulia Semenzato (Nanetta), Carmen Giannattasio (Alice Ford),
Antoinette Dennefeld (Meg Page) et Daniela Barcellona (Mrs Quickly) ;
© Jean-Louis Fernandez


Giulia Semenzato (Nanetta), Carmen Giannattasio (Alice Ford),
Antoinette Dennefeld (Meg Page) et Stéphane Degout (Ford) ;
© Jean-Louis Fernandez

La Nanetta de Giulia Semenzato est la touche acidulée qui vient faire pétiller le dessert avec légèreté et un caractère enfantin, pareillement à sa voix. Celle-ci est par ailleurs très bien projetée avec sa farandole de couleurs, tandis que l’Alice de Carmen Giannattasio est la meringue de ce repas festif, à la fois croquante et fondante, malicieuse et sage, dans une belle voix enrobée. Antoinette Dennefeld et Daniela Barcellona, respectivement Mrs Page et Mrs Quickly, viennent clôturer ce quatuor de choc. Quitte à filer la métaphore culinaire, voici là une belle pépite chocolatée pour la première, qui maîtrise son chant et son jeu avec un beau medium qui vient napper et enrober sa partition, alors que la seconde s’apparent davantage à l’excentrique nougatine avec un jeu vivace et croustillant, mais aussi une belle rondeur en bouche et une couleur de voix caramélisée.

Enfin, Francesco Pittari (Dr Caïus), Rodolphe Briand (Bardolfo) et Antonio di Matteo (Pistola) s’acquittent assez bien de leurs personnages, le couple de serviteurs montrant davantage de zèle à finir les bouteille de Falstaff qu’à le servir, mais le duo comique fonctionne plutôt bien, d’autant plus que la stature impressionnante de Pistola s’oppose plutôt bien à celle de Bardolfo. Quant au Fenton de Juan Francisco Gatell, il est certes le bonbon le moins acidulé de tous les mets présents sur le plateau, avec une projection que l’on aurait aimé plus posée et stable, mais une fois passée la glaçage des premiers instants, le cœur coulant se dévoile pour « Dal labbro il canto ».

Côté fosse, Daniele Rustioni dirige d’une main de chef – tant d’orchestre que de cuisine – la phalange lyonnaise qui, sous sa baguette, parvient à faire prendre la mayonnaise. Légère, onctueuse, parfois relevée, et surtout précise. Voilà qui définirait bien la direction du chef de la maison, qui déploie une palette gourmande aux mille saveurs et nuances. Dans cette dégustation verdienne, chaque bouchée est un délice. Les chœurs, préparés par Anass Ismat, viennent soupoudrer le tout de leur talent, en glissant les têtes hors des coulisses ou en se voilant de noir pour la scène dans la forêt. Là aussi, la précision est de rigueur, et l’on prend plaisir à l’homogénéité du groupe et du souffle.

C’est donc une belle réussite que cette reprise d’activité au sein de l’Opéra de Lyon. Fidèle au goût des lyonnais pour la bonne nourriture et les choses simples, ce Falstaff tombe à pic. Il faudrait vraiment faire la fine bouche pour ne pas trouver là de quoi satisfaire les appétits, aussi bien salés que sucrés : cette production offre bien des gourmandises à savourer !

Elodie Martinez
(à Lyon, le 9 octobre)

Falstaff, à l'Opéra de Lyon jusqu'au 23 octobre.

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