L’édition 2024 du Festival de Colmar est la deuxième seulement pour Alain Altinoglu en tant que directeur artistique. Pourtant, il n’en fallait pas plus pour que le chef français soit totalement adopté par les Colmariens et qu’il parvienne à inscrire une identité qui lui est propre.
Pour l’ouverture de cette édition, l’affiche du programme réunissait bien des réjouissances : Alain Altinoglu, bien sûr, à la tête de l'Orchestre symphonique du Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles, mais aussi Stéphane Degout pour un concert qui attendait le public dans la nef de l'église Saint-Matthieu.
Concert d'ouverture du Festival de Colmar 2024 © FIC - Bertrand Schmitt
On est d’abord surpris par l’architecture particulière du lieu, classé monument historique. La nef dans laquelle sont donnés les concerts est davantage carrée que rectangulaire, offrant plus de largeur que l’on a coutume de voir généralement dans le pays. L’acoustique y est donc particulière et réverbère peut-être moins le son qu’ailleurs, le rendant plus audible ou du moins, plus net. Cela permet également d’offrir au public des sièges confortables sans heurter le coude du voisin au moindre mouvement, ce qui n’est certes qu’un détail, mais très appréciable.
Après quelques mots en la mémoire d’Hubert Niess, l’un des « piliers du festival » décédé le 22 avril dernier, c’est par le Prélude de Lohengrin que s’ouvre la soirée. Une ouverture magistrale qui ne peut que conquérir même les plus récalcitrants des antiwagnériens ! Le caractère cristallin des cordes offre l’aspect d’un miroitement d’ondes sur l’eau. L’équilibre de l’ensemble est tout simplement divin, et le moindre mouvement crescendo prend au ventre. Le chef galvanise ses troupes avec talent, mais les troupes sont elles-mêmes déjà grandement talentueuses, et l’on ne peut saluer plus particulièrement un pupitre sans que cela n’en soit injuste pour les autres tant chaque instrument, individuellement, est digne des plus grandes louanges tout autant que la famille de l’instrument ou que l’orchestre au complet.
Après l’entracte, ce dernier brille encore de mille feux avec la Symphonie de Franck, qui fait écho au Prélude par ses sonorités germaniques malgré sa forme cyclique française. On se laisse ainsi porté sans difficulté par le premier mouvement, puis par la douceur qui se dégage du deuxième mouvement, et enfin par l’attaque du troisième mouvement. L’interprétation offre une impressionnante palette de nuances et de couleurs pour un résultat qui n’en demeure pas moins tonique, solide et robuste.
Concert d'ouverture du Festival de Colmar 2024 © FIC - Bertrand Schmitt
Entre ces deux magnifiques moments instrumentaux, nous avons pu nous délecter d’un autre grand talent : celui du baryton Stéphane Degout, qui nous invitait à le suivre pour les Lieder eines Fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) de Mahler. Le cycle est composé de quatre chants, Wenn mein Schatz Hochzeit macht, Ging heut' morgen über's Feld, Ich hab' ein glühend Messer et Die zwei blauen Augen von meinem Schatz, reprenant la figure romantique du héros déçu qui erre pour trouver un apaisement à ses maux.
On n'est certes jamais déçu par le baryton français dont la voix et la technique servent toujours à merveille le texte choisi. Toutefois, il faut être honnête et ne pas cacher que l’acoustique du lieu n’est pas toujours un cadeau pour les voix, surtout lorsqu’un orchestre symphonique se trouve au complet à ses côtés, et d’autant plus un orchestre de cette envergure. Malgré tout son talent, il ne lui est pas possible – ni demandé – de s’effacer complètement, et bien que l’on ne ressente aucune confrontation entre instruments et voix, mais bien un accompagnement et un enrichissement commun, la voix paraît parfois un peu nébuleuse face à la force vive et concentrée des musiciens. Les deux premiers chants sont peut-être ceux qui en pâtissent le plus, malgré la direction irréprochable d’Alain Altinoglu. La ligne de chant semble se raffermir dès le troisième chant, et rejoint ainsi le minutieux travail d’interprétation de Stéphane Degout.
Stéphane Degout, Festival de Colmar 2024 © FIC - Bertrand Schmitt
Le chanteur s’investit dès les premières notes. Le velours de sa voix embrasse le texte et lui offre un doux un écrin chaud et feutré dans lequel il peut s’épanouir. Ich hab' ein glühend Messer et Die zwei blauen Augen von meinem Schatz laissent particulièrement entendre la douleur du héros, mais le miroitement de la voix du baryton demeure une beauté, calfeutrée ici car la puissance brute serait en décalage par rapport à l’intention de l’artiste. La mélancolie trouve à s’exprimer, et le bis offert, Zu Straßburg auf der Schanz (Mahler), poursuit la montée en puissance de l’accomplissement de la voix.
Avec ce concert, le festival de Colmar remplit pleinement sa promesse d’ouverture royale et lance les festivités de la meilleure des manières qui soit, entre excellence et convivialité.
A noter que les caméras d’Arte Concert étaient présentes et que le spectacle est disponible sur la plateforme.
Elodie Martinez
(Colmar, le 5 juillet 2024)
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