Pour son dernier weekend anniversaire, le festival d’Ambronay n’a pas hésité à mettre les petits plats dans les grands : outre Le Messie entendu jeudi à Lyon et le concert de clôture participatif de dimanche, l’abbaye d’Ambronay accueillait un grand ami et fidèle du festival : le chef argentin Leonardo García Alarcón. Ce dernier tenait à revenir ici, « à la maison », pour fêter ces 40 ans ainsi qu’il nous le confiait cet été. Entre deux représentations des Indes Galantes à l’Opéra de Paris, il s’est donc replonger dans cet univers unique et prenant qu’est Il Diluvio universale aux côtés de la Cappella Mediterranea, du Chœur de chambre de Namur et de talentueux solistes.
Il Diluvio Universale, Festival d‘Ambronay ;
© Bertrand Pichene-CCR Ambronay
Comment expliquer les trois siècles d’oubli tombés sur cette œuvre phénoménale qui emporte tout sur son passage depuis 2010, lors de sa création à Ambronay ? Chaque page est un chef d’œuvre à elle seule, combinant émotions et véritable maîtrise technique. Falvetti était un peintre musical : il parvient à transformer la musique en image et vice-versa. Ainsi en va-t-il des gouttes de pluie de la harpe annonçant la tempête des cordes ou de l’arc-en-ciel mélodique… Nous ressentons à chaque instant l’amour de Leonardo García Alarcón pour la partition, que nous avions déjà ressenti lors de notre entretien, et retrouvons avec plaisir les pages annoncées alors comme la tarantella de la Mort ou « l’orchestre tout de suite interrompu à la moitié d’une fugue par la Justice divine » en ouverture. Les surprises se multiplient et ce concert mis en espace où l’on entend à chaque note et chaque silence la haute maîtrise d’une partition connue jusque sur le bout des doigts. Il faut dire qu’en ce samedi, ce n’est ni plus ni moins que la 51ème représentation de ce phénomène présenté sur de nombreuses scènes du monde et dont l’enregistrement au disque s’est vendu à plus de 13 000 exemplaires !
Sous la direction – et le bonheur de revenir diriger l’œuvre à Ambronay – du chef, l’harmonie et l’équilibre de l’ensemble est exemplaire, l’écoute de chaque pupitre indéniable et l’oreille se laisse guider à travers cette fresque emplie de couleurs et de nuances plus riches les unes que les autres. Comment ne pas entendre la pluie tomber, goutte à goutte, dans la harpe, puis l’averse et la tempête qui suivent dans les cordes ? Comment ne pas voir se dessiner le paisible arc-en-ciel dans l’air « Ecco l’Iride paciera », entêtant et entraînant à souhait ? Comment ne pas ressentir la fureur divine et la force calme de Noé dans sa croyance ?
Une telle réussite n’est bien entendu pas le seul apanage de l’orchestre : les voix y participent pour beaucoup, à commencer par le Chœur de chambre de Namur, formidable de bout en bout et particulièrement investi. Son entrée est d’ailleurs du plus bel effet : arrivant des côtés de la salle, il se place sur l’avant-scène, telle une armée, se joignant aux Eléments et à la Justice divine prêts à s’abattre sur les Hommes. Quant au passage du déluge lui-même, emportant les êtres qui n’ont même pas le temps de finir leurs mots (coupés à « Vi » pour « vita » et « mor » pour « morte »), c’est indubitablement un des temps forts de la soirée, accentué par les cris de détresse et de mort poussés par les choristes.
Mariana Flores ; © Bertrand Pichene-CCR Ambronay
Côté solistes, nous retrouvons en premier lieu la Justice divine sous les traits de Christopher Lowrey – Giulio Cesare ici-même le weekend précédent – dont le timbre lumineux se pare ici de fureur fatale. Le trait clair de la voix est ici autorité indiscutable à laquelle plie chacun des éléments. Parmi ceux-ci, le plus important est l’Eau, interprétée par Julie Roset dont le nom pourrait faire justement penser à la rosée, et correspond à la fraîcheur de cette jeune soprano pétillante que l’on espère bien entendre dans des rôles plus importants. Caroline Weynants est pour sa part une Nature humaine investie, surgissant après l’effroyable épisode de l’extinction, touchée au plus profond de son être, faible et fragile, espérant la pitié. Son soprano plus velouté que celui de ses consœurs s’accorde ainsi parfaitement au personnage. Face à elle, la terrible Mort, interprétée par Fabian Schofrin, seul bémol vocal de la soirée. En effet, la voix fatiguée est à la limite de la justesse, ce qui peut participer à l’allégorie, et le jeu est pour sa part sans reproche : habillé de sa cape noire, de sa faux et le visage peint, reniflant la Nature humaine pour la reconnaître, sautillant et virevoltant avec son tambourin lors de sa tarantella,… Il marque assurément les esprits.
Le Dieu de la basse Matteo Bellotto est de son côté inquiétant, paradoxalement loin de l’amusement de la Mort. Surgissant du fond des chœurs, on l’entend avant de le voir, appuyant davantage cette idée. La voix profonde est parfaitement autoritaire, sans excessivité, notamment lors de son dialogue avec Noé, Valerio Contaldo. Le ténor offre une grande humilité à son personnage ainsi qu’une voix lumineuse, savamment projetée et équilibrée. Reste enfin son épouse, Rad, sous les traits de Mariana Flores dont le chant se marie parfaitement à celui du ténor. On retiendra toutefois son « Ecco l’Iride paciera », accompagnée tour à tour par Caroline Weynants et Julie Roset, dans lequel elle déploie une énergie communicative.
Totalement conquis – et à raison –, le public réserve un triomphe à l'ensemble tandis que le chef lui adresse un discours dans lequel il exprime son amour pour ce lieu, l'histoire particulière qu'il entretient avec lui ainsi qu'une anecdote amusante sur la création de ce projet : une confusion entre les mots médecine et Messine qui a fait que ce dialogue à cinq voix originaire de Messine a finalement tenu lieu d'un projet qui devait être en rapport avec la médecine. Généreux, Leonardo García Alarcón offre également trois bis – auxquels il participe vocalement – tirés de l'oeuvre à cette salle qui aurait pu réentendre avec plaisir l'ensemble de la soirée. Une nouvelle fois, c’est un très beau cadeau que nous fit le festival d’Ambronay avec ce retour à la maison d’Il Diluvio universale le temps d’une soirée passée en un éclair… divin !
Elodie Martinez
(Ambronay, le 5 octobre)
09 octobre 2019 | Imprimer
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