Difficile de passer aujourd’hui à côté du phénomène Jakub Józef Orliński, qui a su se faire remarquer sur scène, au disque ou sur les réseaux sociaux, en alliant chant lyrique et passion de la danse. Le contre-ténor vient d’entamer une tournée avec l’ensemble Il Pomo d’Oro dont le programme reprend son disque, Anima Sacra, qui nous avait particulièrement conquis lors de sa sortie. On redoute néanmoins parfois que l’enregistrement, qui peut bénéficier d’un travail sur le son et le rendu final, offre une meilleure sonorité et un appui pour la voix qui ne se retrouveraient pas sur scène. Autrement dit, du passage du disque aux planches, subsiste la crainte de la déception. Quelle belle surprise avons-nous ici de constater que non seulement la crainte n'a pas lieu d'être, mais qu’en plus, l’ensemble et le contre-ténor parviennent à sublimer et transcender le disque – au point de susciter l'envie de se replonger dans l’écoute suite à la formidable soirée passée en leur compagnie.
Le contre-ténor arrive sur scène avec les musiciens, souriant, élégamment vêtu de noir (seules ses chaussettes et sa pochette ajoutent une touche de rouge). Le sourire qu’il arbore se ressent jusque dans son chant durant le premier air, « Alma Redemptoris Mater » de Johann David Heinichen. Dès les premières minutes, Jakub Józef Orliński déploie une puissance impressionnante et lumineuse, ainsi qu’une ligne de chant d’une clarté à toute épreuve. Suit le Concerto grosso n°5 en si bémol majeur opus 6 d’Arcangelo Corelli qui souligne le talent de la violoniste Zefira Valova qui nous subjugue et nous happe. Son violon n'a de cesse de s'entremêler ici avec celui du second violon Fabio Ravasi, tandis que dans la seconde partie, la Sinfonia en la mineur – Allegro de Zelenka la mettra davantage en avant. Un plaisir de chaque instant, complétant celui d'entendre un ensemble superlatif ce soir, et parfaitement homogène. Toujours excellent, Il Pomo d’Oro (ici dirigé par Francesco Corti à l’orgue) parvient à offrir une prestation que l’on pourrait qualifier de « céleste » au regard de la thématique du récital, tant dans les deux extraits musicaux que dans l’art d’accompagner le contre-ténor, le portant et l’appuyant dans son ascension du chant lyrique.
La première partie se clôt par le Stabat Mater de Vivaldi. Le sourire disparait alors pour laisser place à davantage de profondeur et de solennité. Le caractère spirituel nous envahit pleinement : on est presque transporté au sein d’un lieu sacré par cette voix ample dont la résonnance répond à cette acoustique si caractéristique. Si les aigus emplissent la salle sans encombre, les mediums, à la fois dorés et ambrés, ainsi que les graves ne défaillent en rien, invitant à se laisser emporter avec délectation par cette voix de velours.
La seconde partie débute avec « S’una sol lagrima » de Zelenka, véritable moment hors du temps, suivi par « Tam non splendet » de Nicola Fago après que l’ensemble s'est une nouvelle fois réaccordé et que le contre-ténor en profite pour jouer avec le public en lui adressant quelques mimiques. La prononciation exemplaire depuis le début de la soirée a de quoi ravir les latinistes qui ne devraient avoir aucune difficulté à saisir les paroles de ce chant apaisant. Ces « venite » ressortent comme une invitation, de même que « gaudete » : difficile de ne pas se réjouir d’un tel moment de grâce. L’ultime air de la soirée, « Mea tormenta, properate ! » de Johann Adolph Hasse, clôture le récital sur une note plus dynamique mais tout aussi savoureuse, l’ensemble n’hésitant pas à laisser déferler la tempête sous-jacente tandis que Jakub Józef Orliński laisse entendre des vocalisations d’une netteté impeccable. Rien ne dépasse ni ne semble échapper à la voix, et c’est tout naturellement que le public lui fait un triomphe et l’applaudit à l’unisson.
Face à cet engouement, le contre-ténor et les musiciens offrent trois bis, pour notre plus grand plaisir. Il reprend d'abord le premier air du disque, « Alla gente Dio diletta » de Fago, interprété sans partition. Un moment de douceur porté avec délicatesse, tant musicale que vocale, dont on souhaiterait presque ne jamais sortir. Il poursuit avec le dernier air de l'enregistrement, « Domine Fili unigenite » de Francesco Durante, qui nous sort de notre cocon de torpeur, avant de terminer par « Vedro con mio diletto », extrait d’Il Giustino de Vivaldi (rappelant ainsi la vidéo qui l'a particulièrement fait découvrir sur Internet). L’artiste profite d’un « vedro » pour laisser aller toute sa puissance, impressionnante et époustouflante, faisant naturellement grand effet dans la salle. C’est donc un public déchaîné qui se lève pour applaudir l’ensemble des artistes sur scène.
Un récital qui prouve ici qu’il est possible de redécouvrir un disque et une voix grâce à la magie du concert, mais qui prouve également, s’il en était besoin, que la notoriété du jeune Jakub Józef Orliński ne tient pas qu’à sa forte présence sur les réseaux sociaux (plus particulièrement sur Instagram), mais bel et bien à un talent comme on en voit peu et qui ne cesse de prendre de l’ampleur. D’autant que la fraicheur et le plaisir qui transparaissent sur scène ne gâche rien à l’écoute…
On n'hésitera donc pas à se rendre à l’une des prochaines dates de cette tournée passant par Maillezais ce soir 17 juin, Reims le 19, Bordeaux le 25, ou encore Hardelot et son Midsummer Festival le 27 pour ne mentionner que ces dates (pour plus d’informations, rendez-vous sur le site officiel du contre-ténor). À noter également que Jakub Józef Orliński reviendra à Montpellier la saison prochaine pour un récital cette fois-ci « tourné vers les compositeurs italiens et allemands des XVIIe et XVIIIe siècles ».
Elodie Martinez
(Montpellier, le 15 juin)
17 juin 2019 | Imprimer
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