Si la période des fêtes de fin d’année est généralement propice à la légèreté dans les programmations, cette saison est toute particulière puisqu’elle marque le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach, né le 20 juin 1819 à Cologne. On ne s’étonne donc pas de voir le compositeur à l’honneur, comme par exemple à Strasbourg (puis Mulhouse) avec la redécouverte de Barkouf ou un chien au pouvoir, tandis que Montpellier s’apprête à reprendre Fantasio et que Lyon réserve son Barbe-Bleue pour juin. Pour sa part, l’Opéra national de Lorraine a décidé de mettre en avant l’un des classiques du compositeur dans une nouvelle production : La Belle Hélène.
Avouons que nous ne boudons pas notre plaisir lorsque Offenbach est à la fête. Il ne faudrait pas pour autant croire que proposer l’une de ses œuvres est un pari gagné d’avance : faire rire est un art difficile, tout comme renouveler la scénographie d'une œuvre si connue – a fortiori quand Laurent Pelly a déjà tant marqué les esprits avec sa production (qui a fait l’objet d’une captation au Châtelet en 2000). Afin de relever le défi, la maison lorraine fait appel à Bruno Ravella qui avait su nous enchanter dans un tout autre registre avec Werther en mai dernier. De quoi espérer, mais aussi laisser songeur : saura-t-il nous amuser comme il a su nous charmer ?
Christophe Poncet de Solages, Virgile Frannais (les deux Ajax), et
Raphaël Brémard (Achille); © C2images pour Opéra national de Lorraine
Au centre : Philippe Talbot (Pâris) et Mireille Lebel (Hélène); © C2images pour
Opéra national de Lorraine
La lecture du programme de salle nous rassure, puisque le metteur en scène déclare : « On est en permanence dans une surenchère qu’il faut alimenter et maîtriser à la fois pour ne pas diminuer la tension ou carrément tomber dans la vulgarité ». Et en effet, cet équilibre délicat d’humour tantôt lubrique (on pense à cet Achille surexcité), tantôt léger sera respecté. On rit de bon cœur devant cette vision de La belle Hélène dont le texte, ainsi qu’il est désormais d'usage, est retravaillé pour davantage parler au public d’aujourd’hui, ponctué de références actuelles et notamment à certains politiciens ou personnalités publiques – au cours de la soirée, on croise ainsi « Ménélas, président des riches », « la petite Kardashian avec ses fesses en plastique », « En marche la Grèce », ou encore la drôlissime Bacchis rappelant Nabilla pour ne citer que quelques exemples. Le concours du livret original prend des allures de jeux télévisés (avec son lot de références) et la scène du jeu de l’oie habituellement supprimée est ici conservée, rallongeant un peu l’ensemble, mais pour notre plus grand plaisir ! Bruno Ravella parvient même à offrir une lecture originale de l'oeuvre : « et si, dans un monde où les nouvelles sont créées et contrôlées à des fins politiques, Pâris n’avait jamais rencontré Vénus et était en fait un agent secret étranger dont la mission est de séduire et d’enlever Hélène afin de démarrer une guerre entre états voisins ? » Nous voilà donc embarqué dans un univers de manipulations géopolitiques que ne renierait pas un James Bond… d’opérette, d’OSS 117, coloré et décalé, tandis qu’Hélène adopte des airs d’Evita Peron du haut de son balcon, de Grace Kelly, de Brigitte Bardot… voire de James Bond girl dans la vision finale (voir la photo ci-contre).
Philippe Talbot épouse à merveille ce berger/Pâris à la Dujardin, s’admirant lui-même, ne cessant de se passer la main dans des cheveux gominés, le sourire ravageur, faisant succomber toutes les femmes, y compris celles du chœur qui minaudent ou s’évanouissent à son passage… Entre pirouettes, fausses chutes, faux agent ou faux hippie lorsqu’il se grime en augure de Vénus – le culte de Vénus est en effet fort joyeux ! –, mimiques et intonations, le chanteur révèle toute sa palette comique et fait naturellement l’unanimité. Non seulement le jeu est excellent, mais la voix est au rendez-vous, se jouant des aigus de la partition, offrant une ligne de chant claire et une prononciation parfaitement audible (comme d’ailleurs l’ensemble de la distribution). Un haut niveau d’interprétation qui rappelle celle qu’il avait donnée à l’Opéra Comique dans la Chauve-Souris en 2014-2015, remplaçant alors au pied levé Frédéric Antoun.
Philippe Talbot (Pâris) ; © C2images pour Opéra national de Lorraine
Boris Grappe (Calchas), Franck Leguérinel (Agamemnon), Mireille Lebel (Hélène)
et Eric Huchet (Ménélas) ; © C2images pour Opéra national de Lorraine
Mireille Lebel est pour sa part une belle Hélène aux atouts physiques indéniables et qui se plie avec une joyeuse volonté aux demandes de la mise en scène, se laissant pleinement aller au comique des situations, donnant tout son caractère au personnage. Dommage toutefois que, en ce soir de Première, le chant soit quelque peu inégal : après un début parfois réservé – mais pas toujours –, où la projection est d'abord plutôt bonne puis amoindrie vers la fin du premier acte, elle livre néanmoins une sublime invocation à Vénus. Sa voix de mezzo-soprano se déploie sans mal, dans certains aigus parfois un peu courts tandis que le reste du registre est parfaitement assuré. Globalement, le plaisir est au rendez-vous, et c'est là l’essentiel. Il en va de même pour l’Agamemnon très en forme de Franck Leguérinel, coutumier de ce registre comique, le Ménélas d’Eric Huchet un rien candide et niais dont on a (parfois) pitié, ou encore l’Achille électrique de Raphaël Brémard. Les deux Ajax sont interprétés par Christophe Poncet de Solages et Virgile Frannais, le plus grand aux allures romaines écrasant le plus petit aux allures napoléonienne, y compris vocalement. Le Calchas de Boris Grappe est tonitruant à souhait, profond et parfaitement interprété ici, entre solennel et comique. N’oublions pas également le trio formé par Yete Queiroz (Oreste) dont la verve fait plaisir à entendre, Léonie Renaud (Parthoénis) et Elisabeth Gillming (Léoena). Enfin, une mention particulière pour la Bacchis de Sarah Defrise dont on retient avant tout l’interprétation scénique extrêmement drôle en jeune femme quelque peu écervelée et à l’intonation rappelant celle de célèbres participantes à des jeux de télé-réalité (à qui l’on doit par exemple l’expression « non mais allo » justement réutilisée ici).
De son côté, Laurent Campellone laisse surgir toute la fantaisie, l’humour et le rythme de la partition sans jamais en oublier l’équilibre. Le ton est festif, mais il sait aussi se faire plus doux (sans jamais de mélancolie autre que celle servant la drôlerie de l’œuvre). L’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy est ainsi lui aussi partie prenante de la réussite de la soirée de même que le chœur de l’Opéra national de Lorraine fortement sollicité, se pliant à toutes les chorégraphies qu’on lui demande, ajoutant du comique et du corps à l’ensemble.
Conclusion ? Oui, Bruno Ravella sait décidément aussi bien enchanter qu’amuser, et en ces temps maussades où les cœurs ne demandent qu’à être en fêtes, il est bon d'assister à cette pétillante production de La Belle Hélène. Ne pas hésiter un seul instant !
Elodie Martinez
(Nancy, le 14 décembre)
La Belle Hélène à l'Opéra national de Lorraine jusqu'au 23 décembre (en parallèle de l'exposition se tenant jusqu'au 24 février)
18 décembre 2018 | Imprimer
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