Outre le récital d’Eva Zaïcik dont nous rendions compte dernièrement, le dernier weekend du festival d’Ambronay proposait également, entre autres nombreux rendez-vous, l’Actéon de Charpentier, un très court opéra de moins d’une heure. Rarement donnée, l'œuvre fera l’objet d’un film en plan séquence, mais en attendant le résultat final, Les Cris de Paris et Benjamin Lazar ont présenté leur travail « en cours », Ambronay marquant la fin de leur cheminement. Et ce que l’on peut dire, c’est qu’au vu de cet aperçu, nous avons hâte de découvrir le résultat final !
Là encore, un « programme vivant » (ici, un ventriloque et sa chouette) nous accueille afin de présenter la soirée et l’histoire qui nous attendent, et dont les origines se trouvent dans les Métamorphoses d’Ovide, qui recense les métamorphoses présentes dans la mythologie latine à l’époque de l’auteur. Actéon n’en est qu’une parmi d’autres, mais elle se détache toutefois par la violence et l’ironie tragique de son histoire : dans les bois, le chasseur Actéon croise Diane – ou Artémis dans la mythologie grecque – et ses compagnes en train de se baigner dans un lac. La déesse s’en rend compte et, à défaut d’arc pour punir le mortel coupable d’hybris – ainsi que l’appelaient les grecs anciens –, elle le métamorphose en cerf. Ainsi privé de la parole et de ses traits, Actéon devient un gibier comme un autre pour ses chiens de chasse qui le pourchassent et finissent par le déchiqueter vivant.
Benjamin Lazar ; © Bertrand Pichène
Les Cris de Paris ; © Bertrand Pichène
Cette histoire de chasseur chassé et de voyeur vu a donc inspiré à Charpentier cet opéra d’une quarantaine de minutes, en un acte et six tableaux, en temps réel : l’histoire se déroule sans ellipse, en moins d’un heure, cette heure fatidique qui clôt la vie du jeune héros. Il ajoute néanmoins une nuance vengeresse à l’histoire, ainsi que le rappelle Benjamin Lazar dans sa présentation en début de spectacle : Actéon est le fils du roi Cadmus, dont la sœur a été enlevée par Jupiter, coupable ainsi d’un énième adultère envers sa femme réputée pour sa jalousie, Junon. Cette dernière se venge ainsi de l’infidélité de son époux non pas sur Cadmus ou sa sœur, mais sur Actéon, et ce n’est donc pas par hasard qu’il tombe sur Diane au cours de sa chasse. De plus, ici, la déesse apparaît pour revendiquer son dessein et révéler aux compagnons de chasse la tragédie qui vient de se dérouler, offrant l’occasion d’une longue plainte pour conclure l’opéra.
Rondement dirigés par Geoffroy Jourdain, les huit musiciens parviennent à offrir toute la dimension de l’œuvre de Charpentier. Par exemple, lors de la transformation d’Actéon qui amène une profonde plainte instrumentale, la musique devient mot pour le jeune homme privé de parole, et les cordes font écho au brame qui est ici un cris de désespoir. Toutefois, leur disposition sur scène les place, pour six d’entre eux, face aux chanteurs, ce qui donne parfois l’impression d’un combat pour se faire entendre, réduisant les possibilités de nuances vocales et parfois la compréhension du texte dans l'acoustique particulière de l’abbaye. Ceci étant, la soirée n’en est pas moins source de plaisir, notamment grâce à l’Actéon de Constantin Goubet, sans partition mais parfois peut-être un peu tendu dans son interprétation. Le timbre reste clair et solaire, miroitant parfois à l’éclat des notes interprétées, tandis que la Diane d’Adèle Carlier apparaît fière et majestueuse, dans un chant décidé et sûr. Enfin, la Junon de Marielou Jacquard est un plaisir à voir et à entendre : la présence scénique est réelle, d'autant que la voix veloutée de mezzo avait déjà piqué notre curiosité auditive plus tôt dans la soirée de façon attrayante. N’oublions pas le chœur formé par Les Cris de Paris, qui réunit Michiko Takahashi, Marie Pouchelon, Safir Behloul et Renaud Bres, auxquels se joignent parfois un ou plusieurs solistes. Leur entrée en matière avec l’air « Allons, marchons, courons, hastons nos pas » ouvre la soirée d’une belle façon, d’autant qu'ils sont prompts à se disperser, créant ainsi un effet de multiplication des voix et nous plongeant au sein de la horde de chasseurs dont la frénésie est exhortée par la musique de Charpentier, toujours aussi brillante.
On se réjouit donc d’avoir pu assister à cet Actéon de Charpentier, opéra miniature dont le format – y compris musical – permet de se plier aux contraintes sanitaires actuelles tout en donnant à entendre un véritable opéra. On se réjouit d’autant plus à l’idée d’avoir passé une aussi bonne soirée autour de ce projet « en cours », qui laisse ainsi présager une forme finale encore plus palpitante.
Elodie Martinez
(Ambronay le 3 octobre)
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