Le double visage d'Ariadne auf Naxos à l'Opéra de Nancy

Xl_ariadne_auf_naxos_op_ra_national_de_lorraine__5_ © Opéra national de Lorraine

L’Opéra national de Nancy donnait jusqu’à hier soir le dernier opéra de sa saison, qui se clôture donc sur une Ariadne auf Naxos mise en scène par David Hermann (dont le Simon Boccanegra nous avait déjà particulièrement convaincus à l’Opéra de Flandres il y a quelques mois). Son travail scénique intelligent rend parfaitement lisible « l’affrontement » et la « bipolarisation » de l’œuvre, selon les termes qu’il emploie dans le programme de salle.


Ariadne auf Naxos ; © Opéra national de Lorraine

Dans la première partie, le metteur en scène met en avant le côté burlesque et humoristique de l’œuvre sans pour autant l’accentuer par trop de rococo : le décor est simple et sobre, composé d’un mur et de trois portes blanches en avant-scène. Ainsi, plutôt que de créer une enfilade de couloirs et de portes entre lesquels les personnages courraient et perdraient le spectateur, David Hermann rend l’action particulièrement lisible sans la priver de sa dimension comique : si trois portes seulement composent le décor, chacune d’elle s’ouvre sur des lieux différents. La porte du milieu, par exemple, s’ouvrira tour à tour sur la salle de bain/loge du ténor, la Primadonna, une chambre froide, ou encore sur le Majordome et des feux d’artifice. Ce dernier, véritable ombre de son maître, participe au comique en apparaissant dans divers endroits : derrière la porte où il n’y avait rien, parmi le public dans la salle, ou encore sur l’un des balcons latéraux. La porte côté jardin finira par s’ouvrir sur la loge des artistes comiques et fera voir une part du futur décor, à savoir une scène pastorale à la Watteau. Il en sera de même côté cour, avec des éléments du décor sombre d’Ariadne.

Toutefois, l’une des idées fortes est d’avoir fait débuter la mise en scène avant même que le public ne prenne place dans la salle grâce au dîner joué au ralenti au foyer et accompagné par deux violons. Les spectateurs feront ainsi tout de suite le rapprochement avec le dîner des hôtes du maître des lieux. Nous retrouverons ces mêmes invités dans les loges latérales au début de la seconde partie, puis sur scène durant la toute fin de l’œuvre, se promenant comme des visiteurs dont le guide est le Majordome. L’une d’elle ira jusqu’à faire un selfie avec le ténor qui, excédé, quitte la pièce et le tableau statique dans laquelle elle s’est arrêtée.


Ariadne auf Naxos ; © Opéra national de Lorraine

Le metteur en scène conserve donc les élans comiques de l’œuvre dans la seconde partie, celle du spectacle à proprement parlé, mais ne les pousse pas à l’extrême et ne frôle pas un instant le ridicule. Le décor, quant à lui, marque parfaitement la césure entre les deux mondes dépeints selon les éléments aperçus dans la première partie : un décor bucolique côté jardin qui marque le territoire de Zerbinetta, d’Arlequin et de leur compagnon, tandis que le décor noir, glacial et de marbre côté cour marque celui d’Ariadne, de la solitude et des tourments profonds de l’âme. Un clin d'oeil est d’ailleurs fait au célèbre fil d’Ariane lorsque l’héroïne creuse dans la terre pour récupérer le bout d’une corde qu’elle ramène à elle. Elle prend également un aspect de bête effrayante pour les trois jeunes femmes présentes dans son univers, et accentue ainsi l’idée « d’ours mal léché ». Les ruines de ce qui semblait être un temple n’ont aucun mal à faire penser à une grotte, et le tableau final finira par séparer ces deux univers collés pour en créer un troisième en avant de la scène, vide mais vraie, au croisement des deux premiers. Ariadne finit toutefois sur sa partie de décor après avoir pris la main de Zerbinetta, les deux femmes parlant alors « le même langage » et se comprenant enfin.

A l’excellente direction d’acteurs du metteur en scène s’adjoint un plateau vocal qui a de quoi ravir l’assemblée, d’autant plus que chacun offre un jeu admirable. Seul léger bémol, le Compositeur, interprété par Andrea Hill, est ici difficile à cerner : si la veste d’homme et le pantalon ramènent au sexe masculin, les chaussures à talon rappellent quant à eux le féminin et l’on a du mal à cerner ce personnage qui, suite à la déclaration et au duo avec Zerbinette dans la première partie, revient dans la seconde durant l’air de la jeune femme tout en restant muet. La voix, quant à elle, manque parfois un peu de projection, notamment dans les graves, mais ne gâche en rien la soirée. Le Maître de musique de Josef Wagner est pour sa part plus que convaincant avec des graves solides et parfaitement projetées, ce qui n’est pas forcément le cas de Michael König dans les rôles du Ténor et de Bacchus : si la ligne de chant est envoûtante, les graves ne sont malheureusement pas toujours très audibles. Quant à Beate Ritter, elle offre une Zerbinetta au timbre aussi léger et virevoltant que le personnage, paraissant atteindre ses suraigus sans effort, faisant frétiller les notes les plus joyeuses et passer au sérieux lorsque cela est nécessaire. Son grand air emporte par ailleurs tous les suffrages et le public ne se prive pas de longs applaudissements juste après celui-ci en ce soir de Dernière.  

Si Elena Galitskaya ne peut pas montrer toute l’étendue de son talent dans le rôle d’Echo, elle le sert à merveille, accompagnant la Driade de Lucie Roche et la Naïade de Heera Bae, formant ainsi un charmant trio. L’ensemble des rôles secondaires est d’ailleurs tout à fait saluable et le perruquier de Thomas Florio a de quoi marquer les esprits avec son style vestimentaire et sa coiffure punk, de même que le maître à danser de Lorin Wey et son style seventies.


Ariadne auf Naxos (Amber Wagner) ; © Opéra national de Lorraine

Enfin, si la Primadonna d’Amber Wagner laisse entendre les capacités de l’artiste, la métamorphose qu’elle opère en devenant Ariadne impressionne. Sortant de son palais tel un animal sauvage de sa grotte, les cheveux ébouriffés, elle entonne les premières notes qui prennent presque par surprise, semblant percer les ténèbres qui l’environnent, à la fois claire et profonde. Probablement l’une des plus belles Ariadne actuelles, portée ici par un orchestre qui, sous la direction de Rani Calderon, parvient à faire entendre les contrastes de la partitions sans pour autant que le passage entre les deux « visages » de la partition ne soit abrupte.

Une très belle fin de saison donc pour la maison nancéienne qui ne se trouve finalement parasité que par la chaleur ambiante de la salle et les éventails improvisée ou non des spectateurs qui, loin de fuir la salle pour retrouver la fraicheur extérieur dès le baisser de rideau, applaudissent chaleureusement et longuement les artistes sur scène.

Elodie Martinez

Ariadne auf Naxos, Opéra national de Lorraine, du 6 au 15 juin.

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