Parmi la longue liste des productions victimes du report des réouvertures de salles se trouve notamment Le Voyage dans la Lune, dernier « opéra-féérie » d’Offenbach, dont la tournée devait débuter ce dimanche à l’Opéra Orchestre national de Montpellier, avant de passer par Nancy (le mois prochain) puis Toulon. Une fois n’est pas coutume, nous avons eu la chance de pouvoir néanmoins assister au spectacle depuis la salle, où la présence de caméras laisse augurer une future diffusion possible (qui reste toutefois encore à confirmer). Nous pouvons donc faire part des bons moments promis par la tournée qui attend la production (et dont le projet a été initié notamment par le Centre Français de Production Lyrique). A noter également que le Palazzetto Bru Zane a édité la partition de l’œuvre, et produira l’enregistrement au disque de la production en 2021, dans sa collection « Opéra français ».
Le Voyage dans la Lune, OONM, 2020 ; © Marc Ginot
Le Voyage dans la Lune, OONM, 2020 ; © Marc Ginot
On apprécie tout particulièrement la mise en scène d’Olivier Fredj qui, « sans jamais vouloir transposer systématiquement les choses à notre époque contemporaine, (a travaillé) à ce que les échos contemporains soient perceptibles sans jamais être expliqués ». Point de gros sabots donc, et toute la fantaisie qu’appelle l’œuvre, voilà ce que propose le metteur en scène. Dans un univers qui, derechef, nous fait entrer dans l’atmosphère d’un vieux tournage de film – la soirée se clôturera d’ailleurs sur un « coupé » avant noir complet –, nous volons dans des décors argentés, gris, blancs. Le dôme au centre de la scène se pose comme un bout de lune omniprésent – particulièrement glissante ce jour-là et à l’origine d’une ou deux chutes qui se sont finalement bien intégrées à l’histoire –, ou encore le jeu d’ouverture et de fermeture de scène offrant parfois une vision panoramique, d’autre fois un aperçu des éclairages en coulisses pour rappeler le film qui se tourne, sans oublier la présence de l’image d’Offenbach superposée à celle de la lune en guise de rideau. Nombre de détails accrochent l’œil, comme la pomme des charlatans faisant penser à celle d’Apple, le marteau du juge qu’il utilise aussi comme une canne d’aveugle, ou le superbe lustre de la salle qui semble parfois prendre vie ou devenir un élément de décors grâce aux lumières de Nathalie Perrier. Les décors et costumes de Malika Chauveau participent indubitablement au voyage que nous faisons. Ils s’avèrent intelligents puisque les deux peuples se trouvent finalement accoutrés de costumes très similaires, montrant qu’au fond, malgré les fonctionnements divers, ils ne sont pas si différents.
Quant aux protagonistes, difficile de ne pas apprécier le roi Vl’an et sa tête littéralement emprisonnée par cette couronne énorme qu’il aimerait laisser à son fils, ou encore la reine éponge Popotte, ou la Flamma pourvue d’une lampe en guise de couvre-chef. On notera également la femme avec un chapeau-pot de fleur, certainement en référence à l’image de la femme-plante verte, ne servant que d’apparat, faisant aussi écho au livret qui parle de femmes « utiles » ou « décoratives ». Une nuance et un féminisme (dans le discours de la reine Popotte) que l’on pourrait croire d’aujourd’hui !
Autre moment très drôle de la soirée, les recommandations de vol de Microscope au moment d’entrée dans la fusée, particulièrement savoureuses, ou les tremblements du roi Cosmos lors des aigus de la soprano, Fantasia. Mais le rire n’est pas l’unique instrument dont use Olivier Fredj : le beau est aussi au rendez-vous. Outre les éclairages déjà cités, ce passage où les ombres de personnages se croisent en fond de scène est aussi notable, de même que les images servant justement de fond et de décors. Citons enfin, à défaut d’être exhaustif, les ballets et les superbes chorégraphies d’Anouk Viale, et ce moment mettant en scène ce drôle de petit bonhomme de neige et un ours polaire dansant. Comment ne pas penser alors au temps des Fêtes ?
Violette Polchi (Caprice) et Matthieu Lécroart (V'lan) ; © Marc Ginot
Sheva Tehoval (Fantasia) ; © Marc Ginot
Sur le plateau, c’est une double distribution qui devait être proposée, et nous avons donc pu entendre l’une d’elle seulement ce jeudi, avec notamment Violette Polchi dans le rôle de Caprice, ce prince qui porte si bien son nom, à l’origine de ce voyage insensé. Affublé de deux bâtons au bout desquels pointent deux chaussures géantes, comme pour l’aider à taper du pied lors de ses caprices ainsi qu’à marcher dans ses longs voyages, il est le jeune aventurier avant d'être le jeune amoureux. La mezzo-soprano offre une belle amplitude vocale, une belle projection, et une interprétation très convaincante. Son amour pour Fantasia reste tout aussi crédible lorsqu’elle apparaît à la scène finale, sans son costume masculin (à l’instar des autres personnages) et les cheveux longs. Sa bien-aimée est d’ailleurs magnifiquement campée par Sheva Tehoval, que nous avions entendue ici-même dans Fantasio il y a deux ans. Malgré une partition assez difficile, elle renouvelle notre enthousiasme d’alors avec sa Fantasia légère qui découvre l’amour grâce à une pomme (fruit défendu qui ouvre les yeux sur l’amour, rappelant de manière « offenbachienne » le mythe biblique d’Adam et Eve). La ligne de chant est toujours solide, les vocalises, impressionnantes, et l’agilité ne lui fait aucun défaut, permettant notamment un « Je suis nerveuse » de toute beauté.
Côté paternels, Matthieu Lécroart tient brillamment le rôle de V’lan, drôlement ridicule, mais pas ridiculement drôle. Le registre comique lui convient à merveille, même si l’on déplore parfois de ne pas assez entendre sa belle voix de baryton, à la fois profonde et légère. Une observation que l’on pourrait réitérer pour le roi Cosmos de Thibaut Desplantes, qui se sort merveilleusement bien par ailleurs de son costume somme toute peu pratique, mais qu’il fait adroitement vivre. La voix altière qu’il prête à son personnage et son jeu confère une belle matière scénique. Ajoutons à cela son épouse, Popotte (ici Marie Lenormand), éponge géante devenant féministe. Une fois encore, la comédienne s’avère talentueuse, comique sans exagération, et la chanteuse à la hauteur de la tâche.
Le Voyage dans la Lune, OONM, 2020 ; © Marc Ginot
N’oublions pas non plus le Microscope de Raphaël Brémard, parfaitement investi dans ce personnage clef, ainsi que son homologue lunaire, Cactus, ici Christophe Poncet de Solages. Ludivine Gombert est pour sa part une Flamma bien allumée, que l'on prend plaisir à entendre, tandis que le prince Quipasseparla de Pierre Derhet offre une voix lumineuse, chaude, solaire, et un jeu comique à souhait, puisqu’en plus d’incarner le prince, il est également l’hôtesse de l’air ou déguisé en caissière à la gouaille bien trempée.
En fosse, Pierre Dumoussaud dirige « l’une des partitions les plus complexes et les plus riches qu’Offenbach ait produites avant Les Contes d’Hoffmann », selon ses mots. Une difficulté qui ne se ressent absolument pas dans l’interprétation par l’Orchestre national Montpellier Occitanie, donnant à la musique d’Offenbach toute sa féérie, sa festivité et un entrain qui nous emporte jusque dans la salle. Les chœurs, pour leur part, chantent masqués (crise sanitaire oblige), ce qui ne les empêche pas de se poser en foule convaincante.
Au final, il ne manque rien à cette production, si ce n’est un public dont les rires (répercutés et repris dans une salle pleine), ainsi que les yeux brillants face à la poésie et la féérie d’Offenbach sont une touche finale irremplaçable.
Elodie Martinez
(Opéra de Montpellier, le 17 décembre 2020)
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