Si aujourd’hui, tout le monde connaît Les Arts Florissants, c’est avant tout pour l’ensemble créé par William Christie en 1979. Toutefois, comme c’est souvent le cas, ce nom n’a pas été choisi au hasard et provient de celui d’une œuvre, ici Les Arts florissans de Marc-Antoine Charpentier, un divertissements allégorique sous-titré « opéra » qui célèbre le triomphe des arts sur le bruit des armes, en cinq scènes. En cette fin d’année, Les Grands Concerts ont décidé de proposer, avec l’aide du chœur et de l’orchestre Marguerite Louise dirigés par Gaétan Jarry, cette œuvre certes immortalisée sur disque (par William Christie en 1982, Gaëtan Jarry en 2018 ou Paul O’Dette en 2019), mais finalement assez peu donnée sur scène.
Toutefois, avant d’entrer dans le vif du sujet, l’ensemble propose une rareté, à savoir des extraits de La Couronne de fleurs du même compositeur. Le programme de salle explique que l’histoire de cette œuvre « est étroitement liée à la comédie-ballet Le Malade imaginaire créée douze ans plus tôt », première collaboration avec Molière. Les ordonnances royales contraignent alors les artistes à remanier leur œuvre, et parallèlement, Charpentier « reprend et adapte librement » le prologue à la gloire de Louis XIV qui ouvrait le version originale du Malade imaginaire et lui donne comme titre La Couronne de fleurs. Cette pastorale se découpe en trois scènes et une ouverture. La première scène représente Flore invitant les bergers à saluer le retour de la paix, et promettant une couronne de fleurs à celui « qui chantera mieux le glorieux exploit du fameux conquérant qui met fin à nos larmes ». Ensuite, bergers et bergères demandent le silence au rossignol afin de laisser entendre leur propre chant en l’honneur de Louis. Ils « rivalisent de louanges pour leur Monarque, lorsque l’implacable Pan vient interrompre ce concours dérisoire et leur intime l’ordre de se taire ». Les bergers se taisent alors, renonçant à la couronne, mais Flore décide de la partager entre tous et « l’œuvre se termine dans l’allégresse générale, saluant les joies printanières et le règne de Louis ».
L’œuvre est légère et savoureuse, laissant entendre de très belles pages, comme la Marche des bergers à la fin de la scène 1, qui nous laisse imaginer sans peine la foule pastorale danser et nous entraîner avec elle. L’entrée en matière est donc réjouissante et pose le décors de la soirée, permettant d’apprécier la direction investie de Gaétan Jarry et son ensemble Marguerite Louise. Le chef ne tient pas en place, sautant, sautillant, faisant de grands gestes avec les bras pour accompagner la musique qui l’habite. Le chœur et l’ensemble brillent quant à eux par leur excellence : à la fois équilibrés et nuancés, ils apportent un relief palpable au tableau dressé par Charpentier, faisant battre le cœur de cette musique injustement oubliée. Côté solistes, si l’on ne déplore pas de défaut majeur, cela reste néanmoins perfectible, notamment la Flore de Virginie Thomas dont la diction pourrait parfois être un peu plus nette. Pan (Cyril Costanzo), Amaranthe (Cécile Achille) et Roselie (Maïlys De Villoutreys) offrent pour leur part de belles lignes de chants qui s’intègrent à l’ensemble tout en parvenant à vivre indépendamment.
L’on sent néanmoins que Les Arts florissans sont à présent une œuvre pleinement maîtrisée par chanteurs, musiciens et chef. Une aisance, que l’on n’avait pas dans la première partie bien que parfaitement exécutée et réussie, apparaît dès le début. Un peu comme si cette partition était à présent des draps de soie dans lesquels se lovent les artistes, ou bien une maison dont ils connaissent les moindre recoins. On se laisse derechef porter par ce sentiment de bien-être et l’on apprécie chaque note que l’on entend. Nous ne reviendrons pas sur le résumé de ces Arts florissans (qui se trouve dans notre chronique du disque sorti en 2018), mais nous soulignerons le prélude de la troisième scène, absolument paisible, rappelant le don de Charpentier pour cette musique apaisante pénétrant l’âme au plus profond (que l’on retrouve par ailleurs dans l’air des fantômes de sa Médée). Les solistes brillent aussi ici, à commencer par la Musique, première voix que l’on entend, ici sous les traits de Maïlys De Villoutreys avec une belle projection et une diction parfaite, y compris dans les parties parfois peu aisées par leur rythme soutenu. Ces qualités peuvent d’ailleurs être relevées pour l’ensemble des interprètes, y compris la Poésie de Virginie Thomas. Jonathan Spicher est une Peinture à la voix lumineuse et claire, aux teintes ambrées, à laquelle se joint parfaitement celle de l’Architecture de Floriane Hasler, tandis que la Discorde de Virgile Ancely est profonde, grave, obscure, un véritable tonnerre de guerre qui résonne dans cette Chapelle de la Trinité. Toutefois, la Paix de Cécile Achille parvient à se dresser contre lui de toute sa douce puissance, comme le torrent d’une eau clair, invisible et inarrêtable.
Le chœur poursuit dans son excellence, entre calme et retentissement sonore selon la mouvance de la partition qu’ils servent merveilleusement, de même que les musiciens parfaitement équilibrés, en osmose entre eux et avec les voix, sous la direction toujours très attentive et vivante de Gaétan Jarry. Le chef échangera d’ailleurs de façon assez amusante avec le public en résumant Actéon, autre œuvre de Charpentier, afin de présenter le chœur final qui est selon lui ce qu’il y a de plus beau et qui sera donc le bis de cette soirée.
Encore une fois, Les Grands Concerts frappent donc fort et proposent une soirée qui a su conquérir le public, à juste titre, tout en mettant en avant un jeune ensemble qui s’impose déjà dans l’univers baroque.
Elodie Martinez
(Chapelle de la Trinité, Lyon, le 14 décembre 2019)
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