Pour sa rentrée et au regard du contexte sanitaire, l’Opéra de Lyon joue la sécurité en ne faisant débuter son programme qu’en novembre avec la version concertante de Werther, après avoir remanié sa saison. En septembre et octobre, la maison lyonnaise a finalement imaginé un « prélude à la saison » initialement annoncée, où l'on retrouve L’Heure espagnole imaginée par James Bonas et Grégoire Pont. Un choix somme toute éclairé, l’opéra étant court et déjà étrenné ici-même en 2018. Quant au respect des règles sanitaires, on ne peut que saluer la maison lyonnaise pour son organisation : place non numérotée (mais obéissant toujours aux catégories) afin de ne pas avoir à passer devant les spectateurs déjà installées, sièges vides intercalés, direction du public côté paire et impaire afin de ne pas se suivre non plus dans les escalators, distribution de gel par deux membres du personnel dès l’entrée, etc. Dans ce telles circonstances, il parait bien moins risqué de se rendre au spectacle que dans bien d’autres lieux !
L'Heure espagnole, Opéra de Lyon ; © Michel Cavalca
Revenons cependant à cette ouverture de saison, ou plutôt ce prélude, accessible à un large public, enfants compris. La mise en scène de James Bonas, appuyée par le concept vidéo de Grégoire Pont, plonge le public au coeur d'une fable aux différents degrés de lecture : une comédie en musique à l’orchestration parfois expérimentale pour l’époque, mais toujours travaillée, accompagnant un livret aux nombreux jeux de mots parfois coquins. Et quoi de mieux pour une fable que de mettre en scène des animaux ? Ainsi, Torquemada est une souris et Concepción une chatte (qui, comme le veut l’image, joue finalement avec sa proie), tandis que Gonzalve est un lièvre, peureux à souhait et gambadant avec légèreté dans ses vers. Ramiro, le muletier tout en muscles, apparait sous les traits d'un buffle, et Don Iñigo Gomez est, de façon bien trouvée, un cochon, ou un porc. Le choix des animaux n’est pas dénué de sens et souligne la réflexion qui se cache derrière cette mise en scène aux allures faussement enfantines.
Ainsi que l’avait noté notre collègue en 2018, l’orchestre est placé sur scène, derrière un rideau de tulle qui sert de toile de projection, pour compléter l’avant-scène où évoluent les chanteurs, affichant tantôt avec un décors, tantôt des images (comme ce couloir ou la promenade en ballon dans la poésie de Gonzalve), alors que les interprètes en jouent, par exemple pour se cacher des protagonistes présents dans l’horlogerie. Le comique et la poésie se confondent dans cette mise en scène de James Bonas et Grégoire Pont, dont nous avions déjà apprécié le travail pour L’Enfant et les Sortilèges. De cette fable poético-comique ressort un final aux allures de comédie musicale moderne, nous conduisant sur les toits de la ville, les interprètes ôtant alors un temps leurs cagoules animales et quittant la scène avant d’y retourner pour le final.
Florence Losseau (Concepción) et Raoul Steffani (Ramiro) ; © Michel Cavalca
Afin d’incarner au mieux ces personnages animaliers, l’opéra a fait appel aux jeunes talents de son Studio. À commencer par la Concepción de Florence Losseau, qui joue de ses charmes avec malice tandis que la ligne de chant est claire, même si l’on a déjà entendu d’autres interprètes descendre davantage dans les graves pour « Ah ! la pitoyable aventure » – mais on préfère des graves moins fournies à une mauvaise interprétation. Face à elle, son mari rongeur apparaît sous les traits d’Etienne Duhil de Bénazé, à la diction exemplaire et au chant soigné, de même que l’est celui de Raoul Steffani, le bovin muletier Ramiro, baryton charmeur et aimable, au timbre lumineux. Quentin Desgorges est Gonzalve, proposant une belle interprétation de mammifère lagomorphe, drôle, rêveur, peureux, nerveux, amoureux… Tous ces traits sont maîtrisés par l’interprète qui les reflète dans son chant, mais peut-être peut-il encore gagner en diction – un bien léger bémol ici. Enfin, le porcin Don Iñigo Gomez est incarné par Christian Andreas, dont la voix est loin d’être aussi lourde que le personnage, et offre même des accents d’élégance des plus agréables.
Enfin, sous la direction de Vincent Renaud, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon donne à la partition de Ravel ses accents comiques et ses clins d’œil, met en valeur le discours musical qui accompagne celui du livret, insuffle de la vie, entre envolées poétiques et piques, tout en ajoutant des couleurs orchestrales aux vidéos et aux costumes blancs des protagonistes.
Au final, une belle idée de reprise pour cette rentrée, qui permet de réunir toute la famille dans la bonne humeur et la poésie.
Elodie Martinez
(Lyon, le 10 octobre)
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