L'Opéra de Nice ouvre sa saison avec La Fille de Madame Angot

Xl_thumbnail_dsc_8145-avec_accentuation-bruit © Dominique Jausein

Ce weekend, c’était au tour de l’Opéra de Nice de lancer sa saison lyrique avec La Fille de Madame Angot de Charles Lecocq dans la mise en scène de Richard Brunel déjà étrennée sur la scène de l'Opéra-Comqiue en 2023, en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane.

L’œuvre, aujourd’hui peu connue et peu donnée sur scène, mérite pourtant que les maisons s’y intéressent : la musique de Charles Lecocq manie élégance, amusement et légèreté avec un équilibre qui n’a pas à rougir devant les titres d’Offenbach. Avec Chloé Dufresne, les notes s’envolent sans perdre de leurs corps, le dynamisme ne faiblit pas : sous sa direction, les musiciens deviennent artificiers et offrent un feu multicolore qui illumine la scène. Le chœur – préparé par Giulio Magnanini et relativement restreint ici – semble légèrement inégale en ce dimanche : les hommes offrent un chant assez puissant et uni, tandis que les femmes paraissent paradoxalement légèrement plus éteintes dans leurs airs.

Côté mise en scène, nous sommes plus mitigé qu'en fosse : Richard Brunel décide de transposer l’action en mai 68 plutôt que de la laisser sous le Directoire. En soit, pourquoi pas : les deux périodes ont des similitudes, connaissent une crise politique, des revendications, un certain bouillonnement artistique et social... Seulement voilà : le livret met en scène Mademoiselle Lange et Ange Pitou, deux personnalités connues de cette période historique, et il cite à de nombreuses reprises Barras. La transposition est donc incomplète : les références du Directoire heurtent de plein fouet la temporalité choisie par le metteur en scène. Peut-être aurait-il fallu transposer également les noms problématiques, mais c’était là toucher directement au livret et on comprend aisément que l’équipe artistique ait choisi de ne pas le faire.

Par ailleurs, la question de cette incompatibilité entre le livret et ce que l’on voit se pose aussi parce que l’on peut se demander ce que cette transposition apporte réellement. À ce sujet, Richard Brunel explique que « la question à laquelle il me fallait répondre (...) était : comment placer notre public à bonne distance des événements que nous représentons, comme l’était celui de Lecocq ? La société qui se déploie sur la scène ne doit pas être trop éloignée de nous si nous voulons que ses problèmes et ses aspirations nous parlent ». Est-ce à dire que le public est à ce point déconnecté et ignorant qu’il ne peut pas de lui-même faire le rapprochement entre ce qu’il entend et sa propre réalité, ou ne pas combler le creu temporel qui le sépare de l'œuvre ? Le livret est pourtant d’une actualité criante malgré les décennies passées. Comment ne pas sourire, avec nos propres références contemporaines, au doux refrain entraînant : « Barras est roi, Lange est sa reine... C’n’était pas la peine, C’n’était pas la peine, Non pas la peine, assurément, De changer le gouvernement ! » Ou bien voir le parallèle entre l’augmentation des places de l’opéra à cause de celle de l’éclairage de l’époque avec les augmentations et la crise économique / énergétique que l'on connait aujourd’hui ?


La Fille de Madame Angot, Opéra de Nice © Dominique Jausein

A côté de cela, le décor imposant de l’usine de construction de R5 permet une belle verticalité et des déplacements qui meublent et occupent l’espace scénique sans pour autant perdre les spectateurs, de même que celui du cinéma Odéon. Les slogans et tags ponctuent la représentation, comme celui fait sur le mur au tout début : « Prenez vos rêves pour des réalités ». Au final, si l'on oublie les références historiques du livret, le rendu scénique est parfaitement lisible, mais la question de la pertinence de la transposition demeure, et l’on peut aussi se demander pourquoi ne pas avoir pleinement joué le jeu en amenant cette Fille de Madame Angot à notre époque, qui elle aussi se prête à des troubles similaires (crises politique – avec même un remaniement du gouvernement que le metteur en scène ne pouvait pas prévoir –, économique, sociale, lutte féministe, etc.) On ne ressort donc pas pleinement convaincu, mais tout de même loin d’être scandalisé.

La distribution, quant à elle, appelle de beaux interprètes. Hélène Guilmette est une Clairette pétillante, passant de la jeune femme renfermée des premières minutes à la loquace et digne héritière de Madame Angot ! Mutine et déterminée, elle attire toute notre sympathie tandis que la voix, charnue et solaire, sert avec charme la partition. La ligne se déploie de façon homogène du grave à l’aigue et se colore de malice. Valentine Lemercier offre la sensualité de sa voix à Mademoiselle Lange, élégante et charismatique. La profondeur et la rondeur de la voix sert ce personnage campé avec droiture et une drôlerie mesurée, parfaitement dosée, de même que la diction savoureuse. L’Ange Pitou de Philippe-Nicolas Martin est aussi un régal, avec son caractère volage et sa projection pleine et assurée. La ligne de chant se délecte, solidement ancrée dans des notes qu’elle traduit avec précision. Matthieu Lécroart n’est pas en reste en Larivaudière particulièrement efficace, vocalement et scéniquement. La déclamation est excellente, la voix nous atteint sans difficulté et traduit avec elle les humeurs du personnage. Si le Pomponnet d’Enguerrand de Hys étonne par une projection un peu faible dans le chant, il illumine la scène par son jeu et son parler lumineux et clair. Citons également l’Amarante et la Hersilie de Floriane Derthe, le Louchard d’Antoine Foulon, le Trenitz et l’Incroyable de Geoffrey Carey ainsi que Matthieu Walendzik (à la fois cadet, officier, Buteaux et Guillaume) qui endossent tous fort bien leurs rôles de comprimari.


La Fille de Madame Angot, Opéra de Nice © Dominique Jausein

On se réjouit d‘avoir enfin vu sur scène cette Fille de Madame Angot, et c’est une découverte à laquelle on ne peut qu’encourager. On demeure toutefois davantage sur la réserve quant à la vision qui en est proposée : celle-ci a le mérite de ne pas vouloir dénaturer l’œuvre, mais la transposition conserve un goût maladroit et des incohérences qui ne sont pas balayés par le bonheur – mitigé – de la soirée. Heureusement, les artistes offrent le dynamisme et l’étincelle d’une production qu’au final, on ne regrette pas d’avoir vue.

Elodie Martinez
(Nice, le 29 septembre 2024)

La Fille de Madame Angot à l'Opéra de Nice les 28 et 29 septembre 2024, puis à Avignon du 27 au 31 décembre 2024.

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