Hier, Marie-Nicole Lemieux rendait visite à l’Opéra de Lyon dans un splendide récital Vivaldi qui faisait écho à la soirée de gala donnée le 21 novembre dernier. Cette dernière proposait le même programme, agrémenté toutefois d’un repas sur scène dont le menu était signé par un chef étoilé. Les prix de ces deux soirées n’étant pas vraiment les mêmes, le public s’était déplacé en masse pour le récital d’hier après-midi où la « cheffe » Lemieux a su faire briller de mille étoiles son menu en tout point délicieux.
L’entrée est annoncée en plusieurs services, ou bien « mouvements » pour être précise, puisqu’il s’agit du Stabat Mater de Vivaldi. Une œuvre magistrale qui pourrait vite se montrer indigeste pour qui ignore les subtilités de l’assaisonnement. Heureusement pour nous, la cantatrice maîtrise son art à la perfection, sans jamais oublier d’agrémenter l’ensemble du repas de champagne, autrement dit de sa pétillance et de sa bonne humeur légendaire. Elle arrive dans une très belle tenue de soirée, puis déplace son pupitre sur le côté de la scène : point d’aide visuelle pour incarner sa partition ici. Il sera ensuite impressionnant de voir comment elle peut plaisanter et rire avec un spectateur du premier rang et le chef, pour ensuite arborer en quelques secondes seulement un visage sérieux et profond, imprégné de la musique qu’elle s’apprête à servir.
Le Stabat Mater auquel nous assistons alors est empreint d’une sublime incarnation comme Marie-Nicole Lemieux en a le secret, faisant entendre ici son registre grave et ses mediums suaves qui glissent sur nos papilles auditives comme du petit lait. Portée par I Bollenti Spiriti, l’ensemble baroque issu de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, la chanteuse nous transporte dans un voyage émotionnel dont le passage « O quam tristis » (nous) touche particulièrement. Mais cela reste finalement propre à chacun : l’ensemble est d’une telle excellence qu’il serait finalement bien difficile d’extraire une partie de ce tout dans lequel la contralto/mezzo-soprano s’implique au point que l’on ressente presque une certaine difficulté à s’extraire de ce chant une fois la dernière noté résonnée. Il nous semble même apercevoir une larme lorsqu’elle part avec hâte entre ce Stabat Mater et le Concerto en ré mineur qui suit. Cette partie musicale permet de mettre toute la lumière sur le haut niveau et le talent de l'ensemble, ici dirigé par Stefano Montanari qui ne s’interdit pas pour autant de participer avec son violon. Le concerto s’ouvre d’ailleurs par un combat ou dialogue entre le chef et le premier violon. On admire par la suite la manière dont le maestro dirige, violon au cou mais en utilisant son corps et son bras, reprenant la musique à tel ou tel moment, ajoutant sa voix à celle de ses musiciens, ne restant pas dos au public sans jamais rester non plus de face, marquant à quel point l’ensemble est uni.
C’est ensuite l’heure du retour de Marie-Nicole Lemieux, dans une autre tenue peut-être moins solennelle et avec une coiffure plus « habituelle », mais toujours élégante avec ses plumes, et surtout avec ce sourire et ce rire qui la caractérisent tant. A partir de ce moment du festin, le champagne coule à flot et le petites bulles de bonheur nous emportent, nous faisant apprécier à chaque instant le timbre chaud et profond ainsi que l’amplitude vocale impressionnante de la cantatrice dans une ligne de chant qui ne se rompt à aucun moment. « Son due venti » (Orlando finto pazzo) se clôt par un grand éclat de rire lorsqu’elle se retrouve face au chef venu tout près d’elle avec son violon, bras tendu comme s’il s’apprêtait à jouer encore. Puis vient « Al vezzeggiar d’un volto » (Farnace) et « Quanto posso a’me fo schermo » (Atenaide) pour lequel la gravité reprend place sur son visage et où la détresse du texte se fait ressentir, parfaitement transmis, entraînant un véritable triomphe de la part du public. L’Olimpiade occupe ensuite la scène, d’abord par son Ouverture – dont on se serait bien resservi, admettons-le – puis par « Mentre dormi, amor fomenti » avant lequel elle plaisante avec le chef, faisant mine de chercher sa page avant de lâcher au public : « les chanteuses, vous savez ! » puis « Les chefs ont toujours raison » tandis que Stefano Montanari ajoute : « Il ne faut pas l’oublier ça ! » La complicité entre eux est évidente et leur plaisir est communicatif. On ne s’étonne donc pas de les voir jouer ensemble lors de l’ultime air de la soirée, « Fra le procelle ». Au terme d’un tel spectacle, on se dit qu’une partie devrait être prise en charge par la Sécurité Sociale tant cela fait du bien à l’âme et au corps. Le triomphe est total et éclate franchement de la part de la salle qui, malgré ce copieux festin, a toujours un petit peu de place pour un dessert… Ce que sont les deux bis : une Chaconne de Vivaldi dans laquelle le chef participe à nouveau au violon, et « Nel profondo », petit bonbon sucré de fin de soirée.
A l’issu de ce récital, certainement le public n’a-t-il comme nous qu’un seul regret : celui de ne pas voir davantage Marie-Nicole Lemieux dans la capitale des Gaules !
Elodie Martinez
(Opéra de Lyon le 24 novembre 2019)
© Denis Rouvre – Erato / Warner Classics
25 novembre 2019 | Imprimer
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