Samedi soir, Marie-Nicole Lemieux concluait une tournée européenne de cinq dates aux côtés de son ami le pianiste Roger Vignoles, comprenant notamment un passage à Toulouse et à la Criée de Marseille. Une soirée pleine d’émotions où les deux interprètes ont su répondre aux hautes attentes du public fort présent dans un programme de lieder et de mélodies françaises, les premiers sur des textes de Goethe, les seconds sur ceux de Baudelaire.
Dès l’arrivée sur scène de la cantatrice, on ne peut que succomber à son charme, à son sourire communicatif et à ses yeux pétillants. On admire ensuite la grande force interprétative de l'artiste dont le visage (et l’être) se transforme au gré des airs. Le premier annonce le fil conducteur de cette soirée : Kennst du das Land, d’après Schumann, suivi par Wie mit innigstem Behagen. Nous voyagerons donc ce soir à la recherche d’un pays idéal, accompagnés par le piano d’une incroyable justesse de Roger Vignoles, amenant l’instrument à l’endroit exact où il sait devoir se montrer présent, sans pour autant jamais faire d'ombre à la voix, la mettant au contraire en pleine lumière. L’enjoué Der Musensohn de Schubert emplit la salle d’une belle énergie et le public ne retient pas ses applaudissements alors que Ganymede et Gretchen am Spinnrade (où la ligne de chant se fera superbement entendre et où l’interprétation ne peut laisser de marbre) suivent pour former un groupe de trois airs. Marie-Nicole Lemieux demande alors avec une grande gentillesse et toute la bienveillance qu’on peut lui connaître d’attendre la fin des groupes d'airs avant d’applaudir afin de garder le fil conducteur du programme, ainsi qu’une certaine concentration. Cela permet également de « vivre le moment ». Elle interagira à nouveau plus tard alors qu’un(e) spectateur/spectatrice s’apprête à filmer durant les airs de Beethoven (Wonne der Wehmut et Die Trommel gerühret) pour demander cette fois-ci, toujours avec douceur, d’attendre les rappels pour cela afin « d’être ensemble » et de ne pas vivre l’instant à travers un écran. Nous avons également le plaisir d’entendre son rire lumineux en début de spectacle, lors de sa première prise de parole auprès du public, rendant à l’exercice du récital toute la vie dont il est malheureusement parfois dépourvu.
La première partie se poursuit sans encombre avec le Harfners Lied et Über allen Gipfeln ist Ruh de Fanny Hense-Mendelssohn. La cantatrice passe de l’un à l’autre en changeant extraordinairement de visage mais avec toujours le même art du partage et un chant formidable, parvenant tant aux aigus qu’aux graves avec souplesse et facilité apparente. La clarté de la voix ne faiblit pas et l’on a droit à de belles démonstrations de puissance, y compris dans le dernier groupe autour d’airs d’Hugo Wolf : Blumengruss, Frühling übers Jahr et Kennst du das Land ?, fermant ainsi la boucle des lieder et laissant la question d’ouverture de soirée en suspens.
Après l’entracte, nous voguons vers le monde des mélodies françaises et les textes de Baudelaire, en commençant par L’Albatros. Marie-Nicole Lemieux a changé de coiffure et de bijoux, comme pour mieux marquer ce passage d’un monde à l’autre, bien que finalement peu éloignés l’un de l’autre. La diction qui était déjà exemplaire en allemand est d’autant plus appréciable en français et l’on s’imagine sans effort la scène décrite par le poète et dépeinte par l’interprète qui fait sienne chacun des mots prononcés. Ici, contrairement à la partie dédiée aux lieder, le regroupement des airs ne se fait pas selon les compositeurs mais davantage selon le ressenti. L’Albatros est ainsi associé au Chant d’automne de Fauré, Les Hiboux injustement rares de Déodat de Séverac et l’Hymne, à nouveau de Fauré. Suivent La Mort des amants de Gustave Charpentier, puis Le Jet d’eau et le Recueillement de Debussy avant que la célèbre Invitation au voyage (où l’on perçoit comme des gouttes de pluie fragiles tomber dans les dernières notes produites par Roger Vignoles) et La Vie antérieure ne viennent clore le programme, toujours dans cette idée de recherche d’un ailleurs (un ailleurs que cherchera également Yves Bonnefoy) où, peut-être, tout ne serait « qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Le pays désiré, celui chanté dans les lieder, trouve ainsi écho dans la partie française.
Fort enthousiaste, et à raison, le public applaudit à tout rompre et attend un bis. Il en aura deux, précédés chacun d’un énergique et chaleureux « d’accord ! » de la part de la cantatrice : le premier nous laisse dans l’univers baudelairien avec Le Flacon de Léo Ferré dont Marie-Nicole Lemieux parvient à reproduire les inflexions de voix sans pour autant tomber dans l’imitation. Le second rappelle l’univers des lieder mais en français puisqu’il s’agit de l’air Connais-tu le pays ?, traduction de Kennst du das Land ?
Ainsi, ce pays idéal que Marie-Nicole Lemieux nous invite à chercher semble bien être ce soir à Montpellier, dans cette salle du Corum, du moins le temps de ce récital fabuleux que l’on aimerait sans fin. Finalement, le plus bel endroit n’est-il pas ce moment vécu ensemble ?
Des textes de Goethe, à ceux de Baudelaire,
Nous sommes enchantés par l’ensemble des airs.
Ainsi, pour le public, il faut bien l’avouer,
C’est bien le mieux qui nous a été présenté !
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