Samedi se tenait la Générale de Miranda dont la Première s'est tenue hier soir à l’Opéra Comique. Il s’agit là d’une création basée sur l’œuvre de Henry Purcell pour la musique et imaginée à partir de La Tempête, la dernière pièce de Shakespeare. Une création contemporaine sous forme de semi-opéra (mêlant donc parlé et chanté) avec musique ancienne qui confronte également passé et présent dans le livret.
Nous nous retrouvons en effet avec l’unique personnage féminin, Miranda, treize ans après la fin de la pièce. Dans cette dernière, Prospero a la charge de sa fille et se trouve exilé sur une île sauvage suite à sa spoliation du duché de Milan. Elle est également le centre de l’attention de Ferdinand, prince héritier du trône de Naples et premier homme étranger qu’elle rencontre. S’il ne s’agit « que » de treize années pour les protagonistes, les œuvres, elles, sont séparées de bien plus d’années, et le regard porté aujourd’hui sur l’héroïne fait quitter le carcan patriarcal qui pouvait exister chez Shakespeare. Un certain message féministe se dégage ainsi de ce regard que porte Miranda sur son passé : aujourd’hui, c’est son histoire, de son point de vue, qu’elle souhaite raconter et imposer aux hommes qui l’entourent mais aussi à l’auditoire dans son ensemble. D’objet, elle passe ainsi à sujet dans cette production.
Miranda, Opéra Comique ; © Pierre Grosbois
Miranda, Opéra Comique ; © Pierre Grosbois
Dès l’anti-ouverture, Miranda apparaît entourée d’une petite troupe et expose son point de vue : elle a été exilée, violée puis mariée trop jeune, encore enfant. Elle prévient qu’après avoir fait croire à son suicide par noyade, elle va conter son histoire et qu’ainsi son père sera bien obligé de comprendre. L’attente de la scène de la révélation, ce qui va être le masque (théâtre dans le théâtre) caractéristique du semi-opéra, est alors déjà créé dès les premiers instants. Cette scène est également l’occasion d’entendre Kate Lindsay dans le rôle-titre. La mezzo-soprano offre un timbre profond, avec une ligne de chant parfaitement liée, une belle projection ainsi qu’une prononciation soignée. Quant à son implication, elle est entière et offre une Miranda détruite mais également en voie de reconstruction et déterminée. Les hommes l’ont brisée par le passé, mais elle semble ici avoir ramassé les divers morceaux pour se reconstituer malgré les failles apparentes. Dommage cependant que la « cagoule » qu’elle porte lorsqu’elle intervient durant la cérémonie, malgré sa finesse, coupe la voix et empêche le public d’en profiter alors pleinement. Katherine Watson incarne pour sa part une Anna formidable de fragilité et de ressemblance avec Miranda, discrète mais présente, personnage s’inquiétant de sa ressemblance avec la jeune disparue, seule autre femme dans ce milieu d’hommes. Parmi ces derniers on compte Henry Waddington dans le rôle du père, Prospero, homme terrible qui effraie même Anna et qui refuse de reconnaître sa responsabilité au point qu’il finira par envisager le suicide à la fin de la pièce. Cette scène est probablement celle qui le montre le plus humain et dans laquelle le public peut apprécier au mieux la technique du baryton-basse qui, au début de la soirée, semblait s’économiser. S’agissant de la Générale, ceci paraît fort compréhensible et l’évolution ainsi que la clarté du chant sont tout à fait rassurantes pour les représentations suivantes. Allan Clayton est pour sa part Ferdinand, l’époux de Miranda, totalement anéanti par sa disparition, une ombre de lui-même, ce qui est loin d’être le cas de sa voix claire et lumineuse, divine même. La pureté du chant sert ainsi à merveille la partition et se mêle sans peine dans ce décors religieux. Quant au pasteur de Marc Mauillon, il offre là aussi un timbre des plus agréables et reste constant dans l’excellence de sa prononciation. Sa posture pastorale est elle aussi des plus convaincantes.
Katie Mitchell revient pour sa part à l’Opéra Comique après Written on Skin (en novembre 2013) en prenant en main la mise en scène de Miranda, plaçant l’ensemble de l’œuvre dans une église de la côte du Suffolk en Angleterre, comme l’indique le livret de Cordelia Lynn (deuxième des trois noms à l’origine du projet). Les déplacements de chacun sont savamment étudiés, le décor choisi est celui d’une église moderne, de même que les costumes sobres, marquant le caractère actuel de cette création. Le féminisme global de ce projet n’est jamais trop lourdement appuyé et assez présent pour être vu sans que cela n’en devienne endoctrinant : la femme, Miranda, est au cœur du projet. Dommage alors que la scène de la révélation tant attendue depuis les premières minutes ne soit pas plus développée ni mise en avant : les comparses de l’héroïne mettent à leur tour des cagoules puis des masques en forme de photos de visages d’homme(s) imprimés sur feuille A4. La lecture de ce passage n’est pas forcément très aisée, les visages étant peu visibles depuis la plupart des rangs (bien que l'on devine qu'il s'agit de Ferdinand et Prospero). Ainsi, on ne voit pas l’homme qui viole Miranda et l’on peut se demander même (au moins un instant) si le violeur et le marié ne font pas qu’un. Le suite nous amène toutefois rapidement à penser que non.
Le problème de ce passage tant attendu réside également (et peut-être surtout) dans l’œuvre en elle-même. En effet, si durant la première partie la partition est d’une grande fluidité et laisse le temps d'installer les personnages, donnant réellement l’impression d’un opéra composé par Purcell, peut-être aurait-il fallu que le livret prenne le temps de s’arrêter sur ce passage bien plus qu’il ne le fait : l’attente dure un long moment, "l’après dévoilement" est également développé, montrant la crise causée et les conséquences, mais cette partie extrêmement importante relatant les faits paraît être réduite à son minimum. Probablement la lecture de La Tempête éclairera la public, mais l’on apprécierait ne pas avoir à compléter la représentation par une lecture supplémentaire.
Enfin, Raphaël Pichon dirige son ensemble Pygmalion avec le même talent que celui qu’on lui connaît, donnant à Purcell toute sa dimension et son éclat. Les nuances sont présentes, l’équilibre scène et fosse est parfaitement respecté. Sa direction énergique sait s’adapter à chacune des notes afin de rendre justice à cette partition qui, on le sent, lui parle et lui tient à cœur. Un véritable atout pour cette production qui, malgré les bémols émis ici, ne fait pas regretter le déplacement.
Elodie Martinez
Miranda à l’Opéra Comique du 25 septembre au 5 octobre.
Diffusion en direct sur Arte Concert le 29 septembre et sur France Musique le 15 octobre.
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