A l’instar du Petit Prince, tout le monde connaît Poil de Carotte, le célèbre petit héros imaginé à l’origine par Jules Renard et maintes fois repris et adapté depuis sa naissance littéraire. Toutefois, si le jeune garçon mal aimé a déjà conquis bien des formes d’arts, l’opéra attendait encore une œuvre à sa hauteur. C’est à présent chose faite grâce à l’Opéra Orchestre national de Montpellier qui vient de proposer sa création pour les fêtes, sur une musique de Reinhardt Wagner et une mise en scène de Zabou Breitman, qui signe également la dramaturgie tandis que Franck Thomas en signe les paroles.
Poil de Carotte, Opéra de Montpellier ; © Marc Ginot
Tout invite à la sortie familiale dans ce très beau spectacle de fin/début d’année, du personnage principal à la musique en passant par le texte, les costumes (de Dick Bird) ou encore la durée d’environ 1h30 sans entracte. Reinhardt Wagner propose en effet une partition aux accents de comédie musicale, parfois teintée de dessins animés, dans une musique accessible à tous. Ici, la musique ne joue pas sur les dissonances, les césures rythmiques, ou encore les électro-chocs auditifs, mais au contraire sur le mélodieux, l’harmonie et les airs entêtants, ce qui est loin d’être synonyme de platitude ou de manque d’imagination musicale. On découvre un vrai travail de composition au service de la musique et de l’histoire qui fait entendre de très beaux moments d’émotions tout en variant les plaisirs. Difficile de ne pas avoir, pour ce qui nous concerne, un énorme coupe de cœur pour l’air autour de la trompette de Poil de Carotte que nous aurions aimé immortaliser par une captation ! A la tête de l’orchestre de la maison en pleine forme et en charge de cette nouvelle partition, Victor Jacob a su en faire ressortir toutes les couleurs, les accords et les nuances, les pics, la douceur, le drame, l’amusement ou au contraire le ton des plus graves dans les pires moments…
Poil de Carotte, Opéra de Montpellier ; © Marc Ginot
Amélie Tatti (Poil de Carotte) © Marc Ginot
La mise en scène est confiée à Zabou Breitman, connue du grand public pour ses nombreux rôles au cinéma et au théâtre, mais aussi pour ses réalisations. Il est de notoriété moins publique que l’artiste touche-à-tout a déjà signé une mise en scène lyrique : en effet, elle a déjà travaillé à l’Opéra de Paris pour L’Enlèvement au Sérail en 2014. Ici, elle s’empare de la création de ce conte musical dans un décor presque unique (de Dick Bird) assez neutre pour permettre de se figurer l’intérieur comme l’extérieur, la forêt comme un lac où les enfants se baignent, la chambre comme le séjour, etc. Pour habiller ce décor, la metteuse en scène s'appuie sur des éléments distinctifs (un lit vertical, une cheminée, une cage à lapin, des plantations), ou des changements de costumes ou des mouvements de nage… L’élément en arrière-scène finit toutefois par disparaître et laisser place à un arbre lorsque les deux parents se retrouvent seuls avec le mendiant, mais la poésie reste présente du début à la fin, notamment avec cette lune qui se déplace au fil de la soirée, faisant ainsi écho aux derniers mots de Poil de Carotte dirigés vers « le ciel, (son) ami le ciel ».
En début de représentation, l’introduction permet de poser l’histoire au travers d'une photo de famille de laquelle est exclu le jeune enfant.qui se fait pousser par chacun des membres de la famille pour que finalement, seul son bras tendu vers eux apparaisse sur la photo qui trônera au-dessus de la cheminée. Ici, la maltraitance est bien sûr présente, avec les remarques sanglantes et parfois cruelles de Mme Lepic, mais c’est avant tout le désamour et le rejet qui créent en grande partie le pathos de la soirée, sans toutefois que celui-ci ne soit appuyé de trop par Zabou Breitman, qui a l’intelligence de laisser vivre l’œuvre sans vouloir l’enfermer dans une relecture moderne réductrice. C’est avant tout une histoire d’enfance brisée, qui s’adresse à des enfants de tous âges, y compris ceux qui ont grandi et qui ont à leur tour (eu) des enfants. Voilà donc une mise en scène qui joue le merveilleux rôle de papier cadeau emballant avec soin l’opéra, sans lui voler la vedette mais permettant toutefois de le mettre d’autant plus en valeur.
La Famille Lepic ; © Marc Ginot
Sur scène sont réunis chanteurs et comédiens de talent, à commencer par le rôle-titre qui revient à la soprano Amélie Tatti. Elle allie les arts pour un résultat touchant de fragilité et de force enfantines, de naïveté et de gravité portées par une voix aux milles accents et aux couleurs nocturnes étincelantes. Véritable étoile dans la nuit, nous suivons sa voix qui dresse par touches colorées une constellation aux nuances rousses. Son frère Félix est interprété par le ténor Yoann Le Lan dans un timbre clair et lumineux aux belles nuances ambrées. La voix chaleureuse sert un personnage quelque peu ambigu, antipathique mais avec quelques élans qui le nuancent, contrairement à leur sœur Ernestine, ici Charlotte Bonnet, que rien ne rend sympathique et que l’on se plaît à détester en la voyant marcher dans les pas de sa mère. Celle-ci est interprétée par Sylvia Bergé, sociétaire de la Comédie française qui n’en est toutefois pas à son premier opéra (La Vie parisienne, La Voix humaine, Le Domino Noir…). Elle incarne une mère absolument affreuse, détestable, terrible et tranchante mais laisse apercevoir une faille dans son air « Bien sûr je les embrasse, c’est la chair de ma chair, mais très vite je me lasse de cœur découvert ». On peine donc à la traiter d’inhumaine malgré son rôle infâme admirablement tenu. Son mari sans grand caractère qui n’ose mot dire devant son autorité apparaît sous les traits de Bernard Alane (également le parrain) qui, s’il est excellent comédien portant merveilleusement son rôle de père aimant, lui aussi sous le joug de son épouse, a toutefois souvent du mal avec l’exercice du chant, mais cela ne gêne finalement pas réellement dans l’univers du spectacle. Cécile Madelin – Prix de la meilleure interprète du répertoire français lors du cinquième concours "Opéra Jeunes Espoirs Raymond Duffaut" – est une belle Mathilde, sincère dans son personnage d’enfant pauvre et gentil, à la voix bien conduite et légère. Dorine Cochenet endosse non seulement le travail de marionnettiste, mais elle est également méconnaissable en mendiant aveugle, ainsi qu’en Agathe. Néanmoins, celle qui transperce les cœurs reste Chantal Neuwirth, honorable Honorine qui veut travailler jusqu’à la fin, injustement traitée et renvoyée dans une scène qui brise le cœur. Comédienne hors-pair, elle porte ici un personnage secondaire au premier plan.
Chœur Opéra Junior et Amélie Tatti (Poil de Carotte) ; © Marc Ginot
Enfin, remportant tous les suffrages, le Chœur Opéra Junior fait montre d’un talent exemplaire dans ses multiples apparitions appliquées et soignées, tant dans le jeu que dans le chant. Véritables multiplications ou doubles de Poil de Carotte, ils incarnent avec leurs tignasses rousses tantôt le jeune héros, tantôt les lapins, tantôt les camarades d’école… et parviennent à obtenir une cohérence et un ensemble qui a de quoi impressionner, rappelant parfois Les Choristes dans cet univers musical grâce à leur cohésion sans faille.
C’est en toute logique que les applaudissements de tous âges retentissent à la fin de la soirée mais que – preuve que leurs interprétations ont pleinement convaincu – la mère, le frère et la sœur se font hués par un public qui exprime ainsi tout son soutien à Poil de Carotte mais aussi à la production que l’on espère bien voir reprise !
Elodie Martinez
(Opéra de Montpellier, le 3 janvier 2020)
Poil de Carotte, Opéra de Montpellier, du 20 décembre au 4 janvier.
06 janvier 2020 | Imprimer
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