Du 15 au 20 mai, l’Opéra de Montpellier reprend la production de Nabucco dans la mise en scène de John Fulljames (reprise par Aylin Bozok) créée à Nancy en 2014 où nous y avions alors assisté. Il semblerait que, depuis cette création, la psychologie des personnages ait été davantage travaillée, mais il est difficile de savoir si le mérite en revient aux interprètes ou à l’équipe de la mise en scène.
Nabucco, Opéra de Montpellier ; © Marc Ginot
A l’ouverture du rideau, l’impression est bien présente par la découverte du décor de Dick Bird (sur lequel notre collègue s’est déjà arrêté dans sa chronique) que le public peut par ailleurs visiter à l’entracte. Toutefois, aussi imposant et beau soit-il, agrémenté par le jeu de lumière de Lee Curran, on peut s’interroger sur la lisibilité de l’œuvre générale dans ce décor unique de synagogue délabrée. En effet, s’il permet de centrer l’action sur le peuple d’Israël, il supprime finalement le contraste entre l’intime et le public pourtant important dans Nabucco, et supprime Babylone de l’équation (du moins visuellement). Certes, la religion mêle ces deux aspects, mais on regrette qu'ils ne soient pas davantage distincts ici. Pour John Fulljames, « Nabucco nous rappelle que le rituel religieux et celui du théâtre sont étroitement liés », mais, malgré la présence de rideaux et de « coulisses », il manque finalement ici le théâtre, dans ce qu’il peut avoir de spectaculaire – principalement présent ici au travers de l'imposant décor. Enfin, la présence des enfants, garants de la mémoire, est l’un des fils conducteurs de la soirée, tour-à-tour enfants des juifs puis, masqués, soldats babyloniens. Autre présence mystérieuse, celle du vieil homme, seul sur scène lors de l’ouverture du rideau, préparant le décor… Est-ce là une image de la sagesse des anciens qui regarde en se tenant à l’écart ? Il faut bien admettre que ce personnage reste peu lisible, mais apporte un certain attrait visuel. Il en est de même pour la maquette du temple amenée au centre de la scène et qui permet ainsi d'en symboliser la protection lorsque les enfants puis les adultes s'unissent autour, ou encore son attaque, lorsqu'elle prend feu.
Côté voix, Giovanni Meoni reprend ici le rôle-titre avec un charisme impressionnant, offrant au personnage une richesse de nuances que seuls les grands interprètes de Nabucco peuvent apporter. Sans jamais forcer sur sa voix, il la pose avec fermeté mais sans aucune rugosité et impose sans force une prestance royale sans oublier une fragilité paternelle. La fluidité du chant, sa projection et sa prononciation en font l’un des grands Nabucco actuels. Autre personnage très attendu, Abigaille est ici servie par Jennifer Check dont la puissance et l’agilité du timbre la font égaler le rôle-titre à l’applaudimètre lors des saluts. Il faut dire que les moyens vocaux ont de quoi impressionner, parvenant les grands écarts requis par la partition, allant du grave à l’aigüe sans marquer la moindre difficulté. L’autorité de la voix sert à merveille le personnage, mais peut-être l’artiste peut-elle se permettre de la marquer davantage dans son jeu où la haine est omniprésente et où la fragilité reste sous-jacente, trace de sa blessure originelle face à ce père qui ne la traite pas en fille.
Luiz-Ottavio Faria (Zaccaria) et Davide Giusti (Ismaele) ; © Marc Ginot
Zaccaria est pour sa part interprété par Luiz-Ottavio Faria (et non Oren Gradus comme annoncé à l’origine) qui offre une belle ampleur de voix, dont la projection se perd parfois sans qu’on puisse entièrement le lui reprocher (on sait la difficulté d’une voix de basse pour passer par-dessus un orchestre lorsqu’il descend dans les notes). L’incarnation est pour sa part tout-à-fait réussie. Face à lui, Davide Giusti campe un Ismaele à la voix puissante (même si quelques nuances supplémentaires ne déplairaient pas car la voix est parfois trop puissante ici), au beau phrasé, et au jeu candide. Bien qu’élégante, sa bien-aimée Fenena, ici Fleur Barron, ne brille pour sa part pas spécialement sans pour autant qu’aucun défaut majeur ne puisse être relevé. Elle se révèle toutefois dans son air « Oh dischiuso è il firmamento » et la clarté générale de son timbre nous ferait douter qu’il s’agit bien d’une mezzo-soprano et non d’une soprano. David Ireland est pour sa part le grand prêtre qui réussit l’exploit de chanter en tenant à bout de bras une énorme tête de taureau, de même que Nikola Todorovitch (issu du chœur de l’Opéra de même que Marie Sénié dans le rôle d’Anna) qui, lui, en tant qu’Abdallo, doit tenir une tête de cheval.
Comment parler de Nabucco sans dire un mot sur les Chœurs qui se composent ici non seulement du Chœur de l’Opéra de Montpellier, mais aussi de celui de l’Opéra national de Lorraine, brillamment préparé par Noëlle Gény et Merion Powell. La prestation est ici à saluer et offre de beaux moments, tant dans l’intensité que dans la retenue ou encore dans la cohésion et la cohérence du groupe ainsi formé. Enfin, l’Orchestre national Montpellier Occitanie se montre ici sous son meilleur jour sous la direction de Michael Schønwandt qui tire tout le faste ainsi que les particularités de la partition, sans jamais oublier tous les détails qu’elle contient. A la fois ancré dans l’opéra italien et prémices d’œuvres suivantes, il n’oublie rien et modère à merveille l’ensemble.
Une belle soirée dans son ensemble, malgré une lecture scénique peut-être trop simple mais au décor impressionnant, quittant le péplum habituel pour l’aspect religieux. Les trois dates affichent d’ailleurs déjà complet, illustrant sans doute l'engouement que suscite toujours l'œuvre de Verdi, brillamment servie ici par les voix (solistes et chœurs) ainsi que par l’orchestre et sa direction.
Nabucco, à l’Opéra de Montpellier jusqu’au 20 mai.
17 mai 2018 | Imprimer
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