En novembre 2021, nous assistions à la création de la production de La Vie Parisienne dans la version exhumée par le Palazzetto Bru Zane et mise en scène par Christian Lacroix – qui signait là par ailleurs sa première mise en scène. Pour cette fin d’année, la production survitaminée clot sa tournée à l’Opéra de Montpellier, qui propose ainsi une véritable production festive parfaitement adaptée pour la saison. Et cela fait un bien fou !
Nous ne pouvons que partager l’enthousiasme de notre confrère Thibault Vicq concernant cette production et cette version intégrale. Dans ce décor unique évoluant au fil des lieux évoqués par le livret (la gare de l’Ouest, l’appartement de Gardefeu, celui de la tante de Bobinet ou encore le Café anglais), nous rencontrons la galerie des personnages hauts en couleurs que nous connaissons bien, enrichie d’une foule de bottiers et de marseillaises ! Ainsi, « si le spectateur connaisseur y perd quelques repères (tel le final habituel du IIIe acte), le public y gagne une quinzaine de numéros musicaux savoureux et quelques dialogues comiques » pour un résultat festif et quelque 3h30 de spectacle – entracte compris – qu’on ne voit pas passer.
La Vie Parisienne, OONM © Marc Ginot
Si le nom de Christian Lacroix est connu de tous pour son immense talent de couturier ainsi que de costumier, le voilà à présent également connu comme metteur en scène avec ce premier essai qui se révèle un coup de maître. Comprenant toute la richesse comique de l’œuvre que revêt le portrait caricatural de la société parisienne du Second Empire, ainsi que sa vision « séduisante et frivole » atemporelle, il a l’intelligence de ne pas en faire une lecture trop sérieuse ou politisée, ni trop grivoise. La Vie parisienne dans sa version originelle gagne en cohérence, certes, mais elle demeure une pièce folle, loufoque, insensée, avant tout amusante. Grimés façon mimes, rappelant la caricature qui est dans la nature-même de l’œuvre, les personnages portent des costumes parfaitement équilibrés entre la folie de l’excentricité et la nature des personnages qu’ils incarnent. On retrouve notamment cette touche excentrique dans les perruques ou les barbes – celle du baron étant particulièrement fournie. Toutefois, on ne bascule jamais dans le carnavalesque ou le ridicule gênant. Tout est bien dosé, bien équilibré et amène à un amusement sans fin, du chapeau qui explose au défilé d’hommes à la musculature seyante en robe de créateur. Le début de l’acte IV, qui fait partie des « nouveautés » de cette version, est particulièrement drôle avec son trio des ronflements dans un décor dévasté par la fête de la veille. L’idée de l’ascenseur et de l’entrée en hauteur avec cet échafaudage permet un lieu d’entrée ou de sortie à la fois coupé et ancré sur scène, alors que la chambre fermée en-dessous instaure un lieu entre scène et hors-scène, demeurant invisible à nos yeux tout en occupant un espace scénique. Un décor astucieux qui offre une dimension verticale, permet des jeux d’entrées et de sorties, une énergie et un dynamisme des mouvements et des déplacements particulièrement bienvenus et bien pensés.
La Vie Parisienne, OONM © Marc Ginot
Le régal ne serait bien sûr rien sans l’équipe d’artistes sur scène, électrisants et à l’énergie communicative. En premier lieu, le Gardefeu de Flannan Obé particulièrement réussi, avec cet ineffable don comique, cette présence irradiante, ce port de voix reconnaissable entre tous, ou ce soleil aux couleurs chatoyantes qu’il projette toute la soirée. Son acolyte Bobinet est incarné par Marc Mauillon, particulièrement efficace dans le rôle, offrant là aussi un chant superbe et un jeu délectable. Sa scène de réveil difficile fait probablement partie des plus mémorables de la soirée. On aurait pu s’attendre à ce que Florie Valiquette brille vocalement davantage en Gabrielle, et bien que l’air « Je suis veuve d’un colonel » reste plaisant, la projection n’est pas au mieux – sans pour autant être mauvaise. Jérôme Boutillier campe un baron particulièrement crédible, à la voix bien audible, tandis que son épouse trouve en Marion Grange une interprète sachant rendre la noblesse qui incombe à son rang ainsi que sa malice, dans une projection pas toujours très égale mais pour un résultat qui demeure plaisant, de même que pour la Métella d’Eleonore Pancrazi, dont l’air final est particulièrement réussi. Tous les autres rôles sont eux aussi savoureusement servis, de Pierre Derhet (Le Brésilien, Gontran, Frick) à Raphaël Brémard (Joseph, Alphonse, Prosper), en passant par Philippe Estèphe (Urbain, Alfred), Louise Pingeot (Clara), Marie Kalinine (Bertha), Caroline Meng (Madame de Folle-Verdure), Marie Gautrot (qui remplace Ingrid Perruche dans le rôle de Madame de Quimper-Karadec), ou encore Louise Pingeot (Clara). Mention spéciale toutefois pour Elena Galitskaya qui offre une Pauline de premier plan, qui excelle tant par le jeu que par la voix claire et parfaitement maîtrisée. Quant au chœur de la maison, il ne souffre d’aucun reproche.
La Vie Parisienne, OONM © Marc Ginot
Le seul bémol de la soirée se trouve dans la fosse, où l’Orchestre national Montpellier Occitanie est dirigé par Romain Dumas. On a connu Offenbach plus pétillant, et l’interprétation se rapproche davantage d’un (bon) mousseux que du champagne auquel on est habitué. La partition, d’ordinaire si bondissante, semble parfois traîner un peu la patte. Nul déséquilibre dans les pupitres cependant, ni souci de justesse, mais un manque de netteté dans le rendu, les notes se fondant un peu les unes avec les autres.
Les festivités si joyeuses de la scène ne paraissent ainsi pas gagner la fosse, mais on s’amuse tellement que l’on ressort avant tout conquis par l’ivresse générale, et l’on ne peut qu’encourager à voir cette production – par ailleurs toujours disponible sur Arte.fr. Un magnifique cadeau pour cette période de Fêtes de fin d’année !
Elodie Martinez
(Montpellier, le 20 décembre 2023)
22 décembre 2023 | Imprimer
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