Depuis le 29 mai – après un concert de La Néréide en avant-première le 2 mai – le Festival de Saint-Denis bat à son plein, en proposant notamment de nombreux rendez-vous pour les petits avant de débuter davantage pour les « grands » depuis le 4 juin, avec Renaud Capuçon et Paul Zientara. Hier, c’était au tour du lyrique de faire son entrée en grande pompe avec Un Requiem allemand de Brahms porté par le Chœur de l'Orchestre de Paris, Pretty Yende et Ludovic Tézier.
Composé par Brahms après le décès de sa mère et alors qu’il était déjà affecté par la disparition de son mentor Robert Schumann, Un Requiem allemand se rapproche du spirituel presque plus que du religieux dans un désir d’ouvrir plus largement la réflexion sur la mort. Avec une durée de 1h10 environ, l'ouvrage est la composition la plus longue de Brahms qui voit finalement le jour en 1868, laissant peu de place aux deux solistes tandis que l’orchestre demeure d’une grande clarté.
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et le Chœur de l'Orchestre de Paris ouvrent la soirée avec douceur, une douceur que l’on peut même qualifier de céleste pour le chœur qui s’envole avec grâce, appuyée par les lumières mises en place. D’abord bleu, créant une atmosphère calme et sereine, l’éclairage passera du froid au chaud (jaune, orange, rouge) avant de revenir au froid (bleu). Principal acteur de ce Requiem, le chœur – préparé par Richard Wilberforce – se montre formidable, modulant avec souplesse sa verve pour l’adapter au gré de la composition sans jamais perdre en fluidité, unité ou sensibilité. Bien qu’il excelle durant l’ensemble de la soirée, le passage suivant la deuxième intervention du baryton est particulièrement notable. Toutefois, aussi formidable soit-il, il faut bien admettre que ce sont les noms des deux solistes qui attiraient les regards pour cette programmation.
Ludovic Tézier © Edouard Brane
Positionné chacun d’un côté du chef, assis la majeure partie de la soirée compte-tenu de leur partition relativement minime, Ludovic Tézier et Pretty Yende attiraient tous les regards. Le baryton français est le premier à faire entendre sa voix dans ce monument sacré qu’est la basilique de Saint-Denis. Toujours aussi belle, elle s’élève avec grâce et force maîtrisée. Le chanteur n’est pas dans la démonstration : il n’en a pas besoin. Il a l’intelligence du respect de l’œuvre qu’il offre avec ferveur et profondeur au public présent. Chacune de ses interventions est un régal dont on ne se rassasie jamais, trop heureux d’une interprétation qui mêle avec brio intelligence, technique et sensibilité. C’est là la plus belle marque d’intelligence des grands artistes : être au service de la partition, plutôt qu’employer la partition à leur service.
De son côté, Pretty Yende est totalement habitée par l’œuvre et le lieu. Pieuse, celle que l’on a l’habitude de voir dans des tenues remarquables a opté pour une robe noire brillante relativement sobre. Dès le premier silence, elle se recueille et parait entièrement habitée par la musique et le chant du chœur, offrant des sourires au lieu, se perdant dans ses pensées. D’ailleurs, lorsque vient le moment pour elle de chanter, elle ne semble pas totalement présente et offre une attaque et une première phrase particulièrement timide, loin de l’assurance qu’on lui connaît et qui regagne sa ligne de chant dès la deuxième phrase, où la phrase se pose enfin. Elle interprète alors ce chant avec dévotion, sans aucune partition. Là aussi, l’exubérance n’est pas de mise pour cette œuvre qu’elle préfère mettre en avant plutôt qu’elle-même. Habitée par la magie du lieu, elle finit son intervention par une prière silencieuse qu’elle clôt par un « amen » du bout des lèvres avant de se rassoir.
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg n’était pas perdu puisqu’il retrouvait son chef, Aziz Shokhakimov. Celui-ci, malgré son très jeune âge, fait preuve d’un grand investissement et prend garde à tous les pupitres. Les sons modulent et prêtent de belles dimensions à Brahms, à mille lieux d’une platitude ennuyeuse. Il canalise l’énergie – dont il ne manque pas – pour servir, lui aussi, ce Requiem allemand qui régale le public.
Avec cette première soirée lyrique – retransmise en direct sur le parvis de la Basilique – le Festival de Saint-Denis place la barre haut pour la suite de ses festivités qui compteront parmi les nombreux rendez-vous alléchants qui attendent son public : un récital avec Sandrine Piau, une Resurrezione en compagnie d’Emöke Barath, Julie Roset, Lucile Richardot, Emiliano Gonzalez-Toro ou encore Robert Gleadow, ainsi qu’un Requiem de Mozart et la Rhapsodie pour alto de Brahms avec Marie-Nicole Lemieux, Axelle Fanyo, Adèle Charvet, Sahy Ratia et Guilhem Worms.
Elodie Martinez
(Saint-Denis, le 5 juin 2024)
Un Requiem allemand au Festival de Saint-Denis le 5 juin 2024, retransmis en différé sur Radio Classique le 15 juin 2024 et ultérieurement sur Mezzo.
07 juin 2024 | Imprimer
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